La droite populiste suisse veut donner un autre tour de vis sécuritaire au pays en forçant l'adoption, par consultation populaire, d'une loi qui rendrait presque automatique l'expulsion de «délinquants étrangers». Ses dirigeants misent encore une fois sur une campagne d'affichage-choc pour vendre leur message, raconte notre correspondant.

L'affiche, vue à Lausanne entre des publicités de voitures, de vêtements et de chocolat, a de quoi surprendre.

On y voit l'image d'un homme grassouillet et peu amène, portant la barbe, une chaîne argentée et une camisole, dont les yeux sont barrés par une large bande noire. Et une question écrite en grosses lettres: «Ivan S., violeur et bientôt suisse?»

L'initiative vient de l'Union démocratique du centre (UDC), qui utilise depuis longtemps des affiches coup-de-poing pour faire avancer ses idées.

L'an dernier, le parti de droite populiste a participé activement à la campagne qui a mené, par consultation populaire, à l'interdiction de toute nouvelle construction de minaret sur le territoire national.

Il cherche cette fois à rendre presque automatique l'expulsion du pays des «étrangers» détenteurs d'un permis de séjour qui se voient condamnés par la justice pour des crimes «graves». La liste inclut l'homicide, le viol, mais aussi le cambriolage et l'abus de prestations sociales. Les personnes visées ne pourraient revenir sur le territoire avant au moins cinq ans.

L'UDC a recueilli suffisamment de signatures pour forcer un vote populaire sur le sujet, lequel se tiendra à la fin du mois. Les plus récents sondages indiquent que près de 60% des Suisses sont favorables à l'initiative.

Merci pour la visibilité

Contrairement aux campagnes précédentes, il n'y a pas eu d'appel à l'interdiction des affiches qui mettent en vedette «Ivan S.», personnage fictif. Certains militants de gauche y ont répondu indirectement par la diffusion d'une affiche sur laquelle un des dirigeants du parti populiste est présenté comme «fasciste et déjà suisse».

Les critiques, et l'attention médiatique qui en découle, font le jeu de la formation populiste, reconnaît Philippe Stauber, délégué UDC de Lausanne.

«Nous remercions nos adversaires pour la publicité faite à l'affiche. Ils tombent régulièrement dans le panneau (...). La provocation est un moyen pour amener nos idées sur la table», indique-t-il.

L'UDC fait valoir que les Suisses ne «se sentent pas en sécurité dans leur propre pays» et qu'il est nécessaire de resserrer les règles qui mènent à l'expulsion des délinquants étrangers.

«Il y a une grande disparité dans la manière dont les cantons appliquent la loi actuelle. Certains sont très restrictifs et sévères alors que d'autres sont très laxistes. Nous voulons changer ça», indique M. Stauber.

De l'avis du gouvernement, l'adoption de la proposition de l'UDC multiplierait par quatre le nombre d'expulsions de cette nature. Il y en aurait eu de 350 à 400 en 2008.

Le gouvernement présentera une contre-proposition à la population dans le cadre de la consultation populaire à venir, mais elle va dans le même sens que la réforme que propose l'UDC, déplore Karl Grünberg, de l'association Acor SOS-Racisme.

«L'un parle de criminels étrangers et l'autre d'étrangers criminels», ironise le militant, qui déplore le fait que «plus personne en Suisse ne se choque» de l'idée d'associer délinquance et nationalité.

«Préjugés malsains»

La Conférence des évêques suisses, dans un récent communiqué, a dénoncé l'initiative de l'UDC. L'organisation accuse la droite populiste de contribuer, par des «artifices juridiques», à «l'enracinement de préjugés malsains» envers les étrangers.

Si elle reçoit l'approbation de la population suisse, l'initiative pourrait causer des difficultés avec l'Union européenne. Selon un professeur de droit de Zurich, elle contrevient aux dispositions en vigueur sur la libre circulation des personnes.

L'UDC estime de son côté que la volonté populaire suisse doit avoir préséance sur les instances internationales.

Le délégué Philippe Stauber ne croit pas que le scrutin aura des échos aussi importants que celui sur les minarets, puisqu'il n'est pas question cette fois de «religion». Mais le résultat aura une influence sur la dynamique européenne, prévient-il.

«Le thème de la migration revient très fort, et chaque pays regarde ce que font les autres pour décider de sa propre ligne de conduite», souligne le conseiller UDC.

Pour sa part, Karl Grünberg croit que le parti populiste, en lien avec divers mouvements idéologiques d'inspiration similaire en Europe, voit la Suisse comme un «laboratoire» où il est possible de tester ses idées grâce aux mécanismes de consultation populaire.

«Ils entrent comme dans du beurre en manipulant les inquiétudes des gens», déplore le militant.»