Les héritiers de la junte toujours aux commandes en Birmanie ont commencé mardi à reconnaître leur défaite face à l'opposante Aung San Suu Kyi, dont la domination était confirmée par des résultats tombant au compte-gouttes.

Pour la chambre basse du Parlement (la plus importante, avec 323 sièges en jeu), les derniers résultats portant sur 88 sièges indiquent que la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en a remporté 78, contre cinq pour le parti au pouvoir, l'USDP.

Si les chiffres sont encore trop partiels pour dégager une tendance nette, le parti d'Aung San Suu Kyi revendique d'ores et déjà une victoire écrasante, de 75 % aux législatives de dimanche, grâce à un important réseau d'observateurs.

Interrogé par l'AFP, un haut responsable du parti au pouvoir, l'USDP, qui a fait campagne sur les réformes menées depuis quatre ans par l'ex-général Thein Sein, a reconnu l'échec de son parti.

«Notre parti a totalement échoué. La LND est victorieuse. C'est le destin de notre pays», a déclaré Kyi Win, un ancien colonel, lançant un signal fort dans un pays sans tradition d'aveu d'échec de la part du pouvoir.

«Aung San Suu Kyi doit prendre les manettes dès maintenant», a-t-il plaidé, alors que selon une des bizarreries du système politique birman, c'est d'abord l'ancien Parlement qui se réunira, dès lundi. Le nouveau se réunira seulement début 2016, pour élire un président.

Après des décennies de dissidence et plus de 15 ans en résidence surveillée, la «Dame de Rangoun», âgée de 70 ans, doit donc encore faire preuve de patience.

75 % des sièges

Mardi, elle a évalué sa victoire à hauteur de 75 % des sièges (après avoir évoqué 70 % jusqu'ici).

Elle a jugé les élections de dimanche «en grande partie libres», tout en déplorant quelques «intimidations» résiduelles, dans une interview à la BBC.

«C'est bien plus difficile pour les perdants d'accepter les résultats que pour les gagnants. Si les perdants l'acceptent, ce sera révélateur de la crédibilité du processus», a déclaré le chef de la délégation d'observateurs européens, Alexander Graf Lambsdorff.

Il s'est cependant refusé à qualifier ce scrutin historique de libre, insistant sur le fait que «cette élection n'est pas finie», tant que les résultats ne sont pas publiés.

Mardi, le président sortant, Thein Sein, n'a fait aucun commentaire depuis Naypyidaw, la capitale administrative fantôme construite dans le plus grand secret au début des années 2000 par une junte paranoïaque.

«Nous n'avons rien à dire pour le moment. Le président a dit avant les élections qu'il accepterait les résultats. Cela n'a pas changé», a déclaré à l'AFP le porte-parole de la présidence, Zaw Htay.

Les partisans d'Aung San Suu Kyi retenaient leur souffle, respectant pour l'heure les consignes de patience.

Incurie ou lenteur intentionnelle

Les interrogations se sont multipliées face à la lenteur de la commission électorale à donner les résultats du vote, pour lequel 80 % des plus de 30 millions d'électeurs se sont déplacés.

Devant le siège de la LND à Rangoun, les organisateurs ont démonté l'écran géant où des centaines de partisans suivaient encore lundi soir l'égrenage des résultats dans une ambiance de liesse.

Les premières circonscriptions tombées se trouvent dans les régions de Rangoun et Mandalay, la deuxième ville du pays, traditionnellement pro-LND. Les derniers résultats tombés mardi matin montrent que la LND domine, même dans des régions rurales comme le delta de l'Irrawaddy.

Si le score de 70 % pour la LND se confirme, cela permettrait à Aung San Suu Kyi d'avoir une majorité absolue malgré la présence d'un quart de députés militaires, non favorables à son parti.

Après des décennies de junte militaire, puis de domination de ses héritiers depuis les réformes lancées en 2011, cela représenterait une révolution complète et inédite pour la scène politique birmane.

«La LND domine le premier round des résultats électoraux», titrait en une le journal officiel Global New Light of Myanmar. Le Myanmar Times pointait du doigt «la frustration face à la lenteur» du décompte. Mais, dans un pays habitué aux lenteurs en tous genres, notamment administratives, la population joue le jeu.

«Je ne m'inquiète pas trop pour les résultats», explique Myo Lwin, enseignant en informatique à Rangoun, confiant dans le fait que le pouvoir sortant «va respecter les résultats».

«Les résultats sont en retard parce qu'il y a des endroits qui sont très difficiles d'accès», ajoute-t-il, alors que des médias locaux pointent du doigt une administration électorale inefficace.