La Birmanie lance dimanche son premier recensement en 30 ans, ce qui devrait enfin fournir un état des lieux de ce pays fermé pendant des décennies de junte militaire, mais risque d'enflammer les tensions dans une Nation aux plus de cent ethnies.

De grandes affiches l'annonçant sont visibles dans les rues, certaines montrant le président réformateur Thein Sein s'entretenant avec un agent du recensement.

L'opération doit durer 12 jours. Des dizaines de milliers d'agents, principalement des instituteurs, doivent parcourir le pays, des montagnes du nord aux jungles où s'affrontent armée et rebelles.

Le recensement est censé permettre d'améliorer les politiques de développement (éducation, santé, urbanisme...) nécessaires au gouvernement aux manettes depuis l'autodissolution de la junte en 2011.

Actuellement, même des informations aussi basiques que le nombre d'habitants sont basées sur des projections par rapport au recensement de 1983, dans ce pays de quelque 60 millions d'habitants dont la taille est équivalente à la France.

Mais ce grand projet national a déjà suscité des manifestations violentes en État Rakhine, région de l'ouest du pays touchée par de vives tensions entre bouddhistes et musulmans. Il pourrait aussi fragiliser le processus de paix avec les rébellions de minorités ethniques.

Le pays est en effet une mosaïque de plus de 100 ethnies, certaines non reconnues comme les Rohingyas musulmans, dont 800 000 vivent confinés en État Rakhine, toujours privés de nationalité.

À cela s'ajoute le fait que la défiance à l'égard de l'État reste ancrée dans les mentalités, malgré les premières réformes. D'où le défi pour les agents du recensement à faire dire aux habitants quelles sont leurs activités.

«Malgré les réformes et les amnisties, les manifestants pacifiques et les activistes politiques sont toujours sujets à des détentions arbitraires et à d'autres abus», rappelle Daniel Gray, du groupe d'analyse de risques Maplecroft.

«Équiper le gouvernement de Birmanie, largement autoritaire, d'informations à jour sur ses citoyens est une source d'inquiétude», dit-il.

Profonde défiance

Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), qui aide à organiser ce plan à 65 millions de dollars, a ainsi été accusé de se focaliser sur l'aspect technique du recensement, au mépris de ses implications politiques.

La représentante de l'UNFPA en Birmanie, Janet Jackson, a tenté de rassurer, en assurant que le recensement était anonyme.

«La profonde défiance ne peut pas être balayée d'un seul coup. Cela va prendre du temps», admet-elle, interrogée par l'AFP.

Elle a néanmoins insisté sur la nécessité de collecter des données «crédibles», pour remplacer celles de 1983, peu fiables.

Des experts ont appelé à retarder le recensement, le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG) a même plaidé pour que les références à l'ethnicité et à la religion soient abandonnées, afin de ne pas embraser les tensions, notamment entre la majorité bouddhiste et la minorité musulmane.

Les bouddhistes extrémistes de l'État Rakhine ont milité en faveur d'un boycottage du recensement, craignant qu'il ne serve de plateforme revendicative à la minorité rohingya musulmane.

Des foules de bouddhistes s'en sont pris cette semaine à des représentations de l'ONU et d'ONG humanitaires dans la capitale régionale Sittwe.

La pluralité ethnique en Birmanie est une source de conflits depuis longtemps, la junte militaire ayant pris prétexte des rébellions ethniques armées pour justifier sa ligne dure dans l'ancienne colonie britannique.

Les Kachins, toujours en conflit armé avec le pouvoir central, pourraient ne pas laisser les agents du recensement faire leur travail dans le nord du pays.

Dans le recensement, selon les experts d'ICG, des ethnies comme les Chins ont été artificiellement divisées en plusieurs groupes. D'autres minorités ont quant à elles été englobées dans des groupes ethniques plus larges comme les Shans.

Les premiers résultats de cette grande enquête devraient être publiés dès cette année, avant les législatives de 2015, moment clef de la transition démocratique, qui pourraient conduire l'opposante Aung San Suu Kyi à la victoire.