Une affaire de domestique exploitée par une diplomate indienne a provoqué la pire crise diplomatique entre l'Inde et les États-Unis depuis les essais nucléaires de 1998, raconte notre collaborateur. Les victimes collatérales de ce fait divers? Le hamburger et la bière importés par les diplomates américains à New Delhi... Mais surtout les relations entre les deux pays.

Le mélodrame dure depuis trois semaines. Il a pris un tournant décisif jeudi, quand la diplomate indienne Devyani Khobragade a pu quitter les États-Unis et rentrer en Inde.

La police de New York l'a arrêtée le 12 décembre pour fraude. En poste au consulat, elle aurait fait venir sa nounou d'Inde et lui aurait versé un salaire de 30 000 roupies par mois (environ 670$ CAN à ce moment-là), sans lui accorder ni congés ni week-ends.

Le procureur de New York estimait que le contrat de travail ne respectait pas la législation américaine. Il la soupçonnait également d'avoir menti dans le formulaire de visa pour son employée, en déclarant qu'elle lui offrirait plus de 4000$ US par mois.

Après quelques semaines de tractations, les deux pays ont résolu l'affaire à l'amiable. L'Inde a pu transférer sa diplomate auprès de sa mission à l'ONU, une affectation lui garantissant une totale immunité.

Inculpée jeudi par un tribunal de New York, Devyani Khobragade venait de quitter le territoire américain. Mais la crise laissera des traces.

Représailles

Hier soir, la presse indienne a révélé que New Delhi avait exigé le départ sous 48 heures d'un diplomate américain qui aurait aidé la famille de la domestique à se rendre aux États-Unis, où elle souhaitait la rejoindre.

La détention de Devyani Khobragade avait provoqué des cris d'orfraie dans la classe politique et les médias. Vexé, le gouvernement indien a pris des mesures pour compliquer la vie des Américains en poste en Inde.

Mercredi dernier, les autorités ont intimé à l'ambassade des États-Unis à New Delhi de fermer son club aux non-diplomates d'ici le 16 janvier. Géré par l'American Community Support Association et situé dans le périmètre de l'ambassade, il abrite une piscine, un restaurant...

Peu avant, l'Inde avait interdit à l'ambassade d'importer de l'alcool et de la nourriture hors taxes. «Rendez-nous notre diplomate, nous vous rendrons vos bières et vos hamburgers», semblait exiger New Delhi.

Problème d'image sous Obama

La querelle refroidit les relations indo-américaines, mal en point depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama. Pro-américaine sous Bush, la classe moyenne indienne ne l'est plus.

Selon un sondage du Pew Research Center, 41% des sondés avaient une bonne image de l'Amérique en 2012. Une chute de 25 points par rapport à 2008.

Les hommes d'affaires américains se plaignent du protectionnisme indien et des violations de brevets par l'industrie pharmaceutique. Et l'accord de coopération sur le nucléaire civil conclu en 2008 demeure bloqué sur la question des responsabilités en cas d'accident.

«Depuis plusieurs années, l'Inde présentait les États-Unis comme un pays ami, le partenariat du siècle. Cette rhétorique n'est plus crédible. L'ambiance de travail entre les diplomates des deux pays va en souffrir, juge Kanwal Sibal, ancien secrétaire d'État aux Affaires étrangères, avant de tempérer: les deux pays ont besoin l'un de l'autre.»

Les relations entre les deux pays sont tirées par des considérations économiques et une diaspora influente. Les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial de l'Inde, et 3 millions d'Indiens vivent aux États-Unis, dont 100 000 étudiants.

Indispensables domestiques

L'affaire n'est pas passé inaperçu dans la presse indienne. Peu après l'interpellation de sa diplomate, le ministère des Affaires étrangères s'est mis au travail pour accorder un statut diplomatique à tout le personnel de maison employé par des diplomates. La mesure doit permettre de placer ces domestiques sous la loi indienne. Et d'éviter que d'autres diplomates qui exploiteraient leur femme de ménage ne soient arrêtés à leur tour. Comme Devyani Khobragade, nombre d'entre eux emmènent leurs domestiques lorsqu'ils partent en poste à l'étranger, au mépris du droit du travail du pays où ils résident.