Près de 70 ans après sa défaite, le Japon continue inlassablement à rechercher des restes de milliers de ses soldats portés disparus en mission, une quête obsessionnelle pas forcément bien vue dans une région où les blessures de l'Histoire sont loin d'être cicatrisées.

Environ 2 400 000 soldats japonais sont morts à l'extérieur du pays, en Russie, en Chine, dans la péninsule coréenne, une colonie japonaise de 1910 jusqu'à l'écrasement du Japon en 1945.

Certains sont encore décédés dans de lointaines îles du Pacifique, la plus tragiquement célèbre étant Iwojima, théâtre d'une véritable boucherie: 6 800 Américains et 22 000 soldats japonais périrent dans cet enfer.

À ce jour, 1 130 000 militaires japonais n'ont jamais été retrouvés (13 000 rien qu'à Iwojima). Les recherches pour retrouver la moindre trace, ne serait-ce qu'un bout d'os, sont compliquées à plus d'un titre.

Compliquée techniquement, voire parfois impossible, parce que beaucoup ont péri en mer (environ 300 000) ou au milieu de l'impénétrable végétation du sud-est asiatique. Les eaux et la jungle se sont refermées à tout jamais sur eux.

Délicate aussi politiquement, car en cherchant des corps, le Japon démocratique d'aujourd'hui «remue la terre» de l'Histoire et d'un passé que ses voisins n'ont pas encore digéré: celui du militarisme nippon et de ses atrocités.

Il suffit qu'un ministre japonais se rende à Yasukuni, un sanctuaire shinto au coeur de Tokyo, pour que Séoul et Pékin se hérissent: depuis 1978, les noms de 14 criminels de guerre condamnés par les Alliés après la guerre ont été secrètement ajoutés à la liste des soldats «ordinaires» dont on honore ici la mémoire, notamment le 15 août, date anniversaire de la capitulation du Japon.

Qu'importe, le Japon, comme pour exorciser son propre passé, persévère dans cette «archéologie» de la mémoire, considérée comme une «cause nationale» au-delà des clivages politiques.

«Ce programme n'a pas de limite dans le temps», confirme à l'AFP un responsable du programme piloté par le ministère de la Santé.

Malgré les contraintes budgétaires, Tokyo ne regarde pas à la dépense. Ainsi un premier ministre de centre gauche, Naoto Kan, a-t-il décidé en 2010 de quintupler le budget annuel consacré aux fouilles sur Iwojima, à un milliard de yens (8,3 millions d'euros) par an jusqu'en mars 2014. Un «devoir national», avait-il plaidé.

Beaucoup de soldats japonais sont tombés en Chine, et Tokyo a dû se contenter de quelques «missions du souvenir» après la normalisation fin 1972. Et l'Histoire n'est jamais loin: aujourd'hui, à la faveur d'un sérieux différend territorial pour quelques îles en mer de Chine orientale, Pékin n'hésite pas à déterrer le «passé fasciste» du Japon.

Avec la Russie, Tokyo n'a toujours pas signé de traité de paix (en raison aussi d'un différend territorial), mais Moscou a promis de livrer cette année des documents sur les quelque 18 000 des 53 000 prisonniers japonais morts dans des camps soviétiques après la défaite et qui restent toujours à identifier.

Chaque année amène en tout cas sa «récolte»: de quelques centaines à quelques milliers de ces petits riens qui permettent à des milliers de Japonais de faire enfin leur deuil.

Ils étaient émus ces quatre vieillards lorsque le 27 août 2012, ils ont embarqué dans un avion pour Pékin, destination Pyongyang, à la recherche de compatriotes dans ce qui est aujourd'hui la Corée du Nord: des 35 000 soldats nippons qui y sont tombés, seulement les restes de 13 000 ont été rapatriés.

De grosses larmes inondent aussi le visage de Heitaro Matsumoto rien qu'au nom de son oncle tué sur l'île de Guam durant l'une de ces dernières batailles sans espoir avant la capitulation de l'Empire.

Goro Matsumoto avait entre 20 et 30 ans et son corps n'a jamais été retrouvé, pas plus que ceux de 18 000 autres soldats de l'Empereur sur cette île.

«Ces gens ont sacrifié leur vie pour le pays, et leurs restes sont abandonnés», raconte cet homme d'affaires de 72 ans, qui participe bénévolement à des opérations de recherche et de rapatriement. «Sans ces corps, on ne pourra pas fermer le cercueil de cette guerre».

Au-delà de l'évidente charge émotionnelle entretenue par de nombreux films, certains pourtant s'interrogent au Japon sur le sens de cette quête mémorielle.

Pour des analystes, cet acharnement représenterait une façon symbolique pour le Japon de rendre hommage à tous ses fils morts pour la patrie, puisque la défaite empêche tout culte à la gloire de ses «héros».

«Le Japon a été un état criminel qui a bouleversé l'ordre mondial, du coup il lui est difficile d'honorer ouvertement des gens qui ont combattu. Récupérer leurs restes peut être compris comme une forme de reconnaissance de leur sacrifice sans pour autant rappeler au monde ce passé encombrant», estime Haruo Tohmatsu, un professeur de l'Académie nationale de Défense.

Pour lui, après toutes ces années le Japon devrait arrêter de chercher ces soldats: «le lieu de leur mort devrait être considéré comme leurs tombes».

Mais pour de vieux Japonais, il est difficile d'abandonner tout espoir de voir un jour revenir au pays les restes de leurs proches.

Matsumoto était à Guam il y a deux ou trois ans lorsque des ouvriers qui travaillaient sur des conduites d'eau sont tombés sur des restes de soldats japonais.

L'un des cadavres portait encore des rangers et tenait une grenade à la main.

Avec des volontaires et des officiels japonais, il avait organisé une cérémonie d'incinération et un service religieux avant de rapatrier les cendres au Japon.

«Le souvenir de cette guerre horrible ne doit jamais s'estomper. Il ne faut pas répéter la même erreur».

PHOTO NORRIS G. MCELROY, ARCHIVES AFP

Sur cette photo datant d'avril 1945, des soldats américains traversent le petit village d'Okinawa au Japon, où gisent des soldats japonais, pendant la Deuxième Guerre mondiale.