Déclencheur de la plus grosse affaire politico-criminelle de ces dernières décennies en Chine, Wang Lijun est passé en quelques heures du statut de super-policier craint et respecté à celui d'un renégat bon à mettre durablement sous les verrous.

L'agence officielle Chine nouvelle a annoncé mercredi son inculpation pour défection, abus de pouvoir et corruption, sans préciser la date ni le lieu de son éventuel procès.

Tout bascule pour lui un jour de février où, brutalement tombé en disgrâce auprès de son patron Bo Xilai - l'ancien maître absolu de Chongqing -, M. Wang tente de trouver refuge dans un consulat américain proche de cette métropole géante.

Là, devant des diplomates qui n'en croient pas leurs oreilles, il déballe au grand jour les turpitudes qui se sont déroulées à Chongqing. Et notamment l'assassinat d'un Britannique commis par Gu Kailai, l'épouse de M. Bo.

Wang Lijun cherche alors à se protéger, mais de fait il précipite sa chute. Sitôt sorti du consulat, il est transféré à Pékin. On ne l'a plus revu depuis.

Selon la presse chinoise, le chef de l'État Hu Jintao, présidant une réunion de hauts responsables communistes, aurait lui-même qualifié de « traître » Wang Lijun.

Digne d'un roman d'espionnage, ce personnage de 52 ans avait jusque-là réussi à s'imposer comme un policier redouté, voire détesté.

Regard d'acier derrière de fines lunettes et visage rarement traversé d'un sourire, Wang Lijun a la tête de l'emploi du « superflic » incorruptible et aux méthodes musclées.

Issu de la minorité mongole, c'est un expert en arts martiaux. Il compterait pas moins de vingt cicatrices sur le corps, souvenirs d'anciennes blessures par balle ou arme blanche.

Il a fait ses classes dans la province du Liaoning, région industrielle du nord-est de la Chine. Simple gardien de la paix au début des années 1980, il grimpe dans la hiérarchie avec déjà un goût particulier pour la lutte anticriminelle.

C'est dans le Liaoning qu'il rencontre Bo Xilai, un apparatchik promis à un bel avenir au sein de l'appareil communiste. M. Bo, quand il se voit confier le poste de secrétaire général de Chongqing, appelle Wang Lijun. Celui-ci deviendra son bras droit, chargé de la sécurité.

Ensemble les deux hommes vont marquer Chongqing de leur empreinte.

Au charismatique M. Bo de se mettre en lumière et d'endosser le crédit de la spectaculaire transformation de cette ville-laboratoire, qui devient en quelques années un pôle économique majeur.

À l'efficace M. Wang de nettoyer la ville de ses triades. Il lance une croisade contre la corruption, marquée par l'exécution de basses oeuvres et de graves accusations de violations des droits de l'homme.

Cette opération qui culmine en 2009 débouche sur des milliers d'arrestations, des suspects qui ont relaté d'atroces séances de tortures, et des retentissants procès anti-mafia, dont celui de Wen Qiang, haut responsable chargé de la justice, condamné à mort et exécuté.

Wang Lijun, à la tête du Bureau de la sécurité publique (BSP), assoit ainsi sa réputation d'« Eliot Ness » chinois. Un patron sans scrupule qui inspirera même une série télévisée, Tiexue jinghun (« Police au mental de fer et de sang »).

Devenu maire-adjoint de Chongqing, il semble indéboulonnable et hors d'atteinte des rares critiques, qui relèvent par exemple son penchant pour les montres et les costumes de luxe.

Méthodique, prudent, il ne laisse rien au hasard : n'a-t-il pas enregistré discrètement Gu Kailai quand celle-ci lui a avoué son meurtre? N'a-t-il pas veillé à prélever discrètement des tissus sur le cadavre de sa victime?

Son hyper-activité le conduit même à dessiner et breveter un imperméable rouge pour les forces de l'ordre de Chongqing.

Wang Lijun est aussi un spécialiste de médecine légale, capable de pratiquer une autopsie. Il a été nommé professeur de recherche honoraire par un organisme américain, le Henry Lee Institute of forensic science.