Ministre des Minorités, Paul Bhatti redouble d'efforts pour libérer Rimsha Masih, chrétienne de 11 ans accusée de blasphème. Et pour épargner un carnage au pays. Une affaire qui illustre le sort fragile des minorités religieuses au Pakistan.

Le soir du 16 août, Paul Bhatti, ministre des Minorités du Pakistan, espérait passer une nuit tranquille. À trois jours de la fête de l'Eid, qui marque la fin du ramadan, le travail s'arrête habituellement. Le pays part en vacances. Mais ce soir-là, vers 20h, son téléphone portable sonne. Au bout du fil, un chrétien, affolé.

«Ils vont nous attaquer et brûler nos maisons!» L'homme habite à Mehrabadi, quartier pauvre d'Islamabad. Une chrétienne de 11 ans, Rimsha Masih, est accusée d'avoir brûlé des pages du Noorani Qaida, manuel d'enseignement du Coran pour enfants.

Les fidèles de la mosquée, l'imam en tête, sont déchaînés. «J'ai vu le spectre d'un nouveau Gojra», confie Paul Bhatti. Le 1er août 2009, dans ce village de l'est du pays, des extrémistes avaient tué sept chrétiens et incendié une centaine de maisons. Une rumeur accusait les chrétiens d'avoir déchiré des pages du Coran. Dans leur prêche, des oulémas avaient appelé les musulmans à s'en prendre à cette communauté qui représente moins de 2% de la population au Pakistan. À peine 4 millions de fidèles.

Paul Bhatti veut éviter un massacre. «Le lendemain, c'était vendredi. Le jour de la prière, se souvient le ministre. Plusieurs chrétiens du quartier m'appellent. Ils craignent d'être attaqués après la prière. Je téléphone aux imams des trois grandes mosquées du pays: la mosquée Badshahi à Lahore, la mosquée rouge et la mosquée Faisal à Islamabad. Je leur explique que si la situation dégénère, personne n'y gagnera. J'ajoute que cette fillette est déjà en prison pour blasphème et qu'il faut laisser la justice faire son travail.»

Son argumentaire convainc les trois religieux. Ils joignent l'imam du quartier et ceux des autres mosquées. La consigne est claire: pas d'appel à la violence. Leurs efforts paient. Après la prière, les fidèles se dispersent dans le calme. Les chrétiens ont évité le pire même si la plupart ont fui le quartier par précaution.

Comme cette histoire l'illustre, Paul Bhatti marche sur des oeufs. Le 2 mars 2011, son frère, Shahbaz Bhatti, a été abattu par les talibans à Islamabad. Son crime: il militait pour la libération d'Asia Bibi, chrétienne condamnée à mort pour blasphème.

À l'inverse de son frère, qui réclamait une réforme de la loi sur le blasphème, Paul Bhatti n'avance pas sur ce terrain. Ancien chirurgien à l'hôpital de Trévise en Italie, ce catholique de 46 ans a pris la succession de son frère à la demande du président Zardari. À son arrivée en poste en mars 2011, il voulait intensifier la discrimination positive en faveur des minorités pour leur ouvrir des postes dans l'administration et l'armée.

L'affaire Rimsha le contraint à changer de priorité. «Certains imams attisent la haine contre les minorités. Il faut réformer l'enseignement religieux», explique-t-il. Les madrasas, ces écoles coraniques privées, offrent souvent un programme inspiré du déobandisme, courant radical de l'islam.

Quand on lui demande s'il a peur de subir le même sort que son frère en s'en prenant à des vaches sacrées, Paul Bhatti réprime un rire nerveux: «Je n'en sais rien. J'espère que non.»