Islamabad veut expulser les 2,7 millions d'Afghans qui vivent sur son territoire après le 31 décembre. C'est la plus grande communauté de déplacés du monde. Le Pakistan utilise la question des réfugiés pour faire pression sur son voisin afghan alors que les relations entre les deux pays se dégradent.

Le camp de réfugiés afghans est perdu au milieu d'une plaine d'herbes et de cailloux, au sud d'Islamabad. Près de 3000 villageois logent dans des maisons en terre cuite. Quelques vaches errent au milieu des chèvres. À part une fontaine, il n'y a aucune infrastructure. L'école, construite par le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, a fermé faute d'enseignant. Les salles de classe servent à entreposer le fumier. Beaucoup aimeraient partir pour trouver une vie meilleure. Pourtant, la menace d'expulsion des autorités les inquiète.

Le regard triste, Noor Agha, 56 ans, rentre à peine d'un séjour en Afghanistan. «Mon neveu a été tué dans un attentat suicide, alors j'ai assisté à ses funérailles. Comment rentrer dans ces conditions?»

Cette perspective n'émeut guère le secrétaire d'État pakistanais chargé des régions frontalières, Habibullah Khan. Quand on lui demande pourquoi il veut expulser les Afghans, la question l'agace. «Vous ne faites pas la même chose, vous en Occident, avec les immigrés?», réplique ce petit homme aux cheveux rasés, le visage cerclé d'une longue barbe blanche. «Les cartes d'identité des réfugiés expirent le 31 décembre. On ne les renouvellera pas. Pourquoi devrions-nous continuer à les héberger? Les Occidentaux répètent que la situation en Afghanistan s'améliore. Alors, qu'ils repartent!»

À l'en croire, les Afghans sont une plaie dont il faut se débarrasser: «La majorité font partie de groupes terroristes ou trempent dans le trafic de drogue.» Ce discours xénophobe est courant chez les hauts fonctionnaires qui pestent contre l'ingratitude de leurs voisins. «Les autorités réclament plus de reconnaissance de la part des Afghans qui accusent le Pakistan de soutenir les talibans et d'alimenter le conflit sans reconnaître l'aide que nous apportons aux réfugiés», observe Simbal Khan, spécialiste de l'Afghanistan à l'Institute of Strategic Studies d'Islamabad.

Le sentiment antiafghan n'explique pas tout. «Islamabad se sert des réfugiés pour faire pression sur notre gouvernement», déplore un diplomate afghan qui souhaite rester anonyme. Le Pakistan s'inquiète du rapprochement entre l'Inde, son ennemi traditionnel, et l'Afghanistan. En octobre 2011, le premier ministre indien, Manmohan Singh, et Hamid Karzaï ont signé un accord de partenariat: outre une aide économique de 500 millions de dollars, l'Inde va entraîner et équiper les forces afghanes.

Pire, l'Afghanistan accuse le Pakistan d'héberger les talibans afghans. Islamabad rétorque que des talibans pakistanais opèrent dans la province afghane du Nuristan, à la frontière avec le Pakistan, en toute impunité. Depuis quatre mois, ces combattants ont organisé une douzaine d'attaques contre des villages et des postes frontière pakistanais. Depuis un an, l'armée demande à son homologue afghane de détruire les bases arrière des terroristes. En vain. En menaçant d'expulser les réfugiés, Islamabad espère amener le gouvernement afghan à agir dans son intérêt. Tous les experts reconnaissent que les autorités afghanes n'ont pas les moyens d'absorber les réfugiés, qui représentent 10% de sa population.

Peu d'observateurs parient sur une expulsion massive. «Si le pays renvoie 1,7 million de réfugiés auxquels s'ajoutent environ 1 million d'immigrés illégaux, il devra expulser 7400 personnes par jour pendant un an, calcule un humanitaire. Impossible.» Les autorités ont même demandé aux ONG de leur prêter des camions pour transporter les expulsés. Habibullah Khan n'a pas la moindre idée de la marche à suivre pour renvoyer les Afghans dans cinq mois. «Vous, les Occidentaux, vous renvoyez des immigrés tous les jours. Pourquoi pas nous?»