Impensables il y a un an, grèves et manifestations se multiplient depuis trois semaines en Birmanie. Mais ce droit retrouvé n'est pas universel, comme l'ont constaté certains.

Le vacarme de milliers de génératrices assourdit Rangoon chaque soir. Elles suppléent au rationnement de l'électricité dans la métropole birmane. Chaque soir aussi, entre le 22 mai et le 3 juin, des centaines de manifestants se sont rassemblés silencieusement dans l'obscurité, bougie au poing, à la pagode Sule, place centrale de la ville.

Ce «mouvement des chandelles» dénonce les pénibles conditions de vie en Birmanie, que les fréquentes pannes de courant symbolisent. Le mouvement des chandelles, qui s'est vite propagé de ville en ville à l'aide de Facebook, réclame l'électricité jour et nuit.

Il y a un peu plus d'un an, ces protestations pacifiques auraient été impensables lorsque la junte militaire dirigeait toujours la Birmanie d'une main de fer. Les généraux birmans, au pouvoir de 1962 à 2010, bannissaient tout rassemblement public de plus de cinq personnes. L'armée avait notamment écrasé dans le sang les manifestations étudiantes de 1974 et de 1988, puis la «révolution safran» menée en 2007 par les moines bouddhistes.

En 2010, la junte a enclenché une transition démocratique, en mettant en place un gouvernement civil dirigé par le président Thein Sein, général à la retraite. En réponse à ces réformes, les États-Unis, le Canada, l'Australie et l'Europe ont levé ou suspendu la plupart des sanctions économiques contre la Birmanie.

Le droit de manifester est désormais encadré par une loi. On peut s'en prévaloir à condition d'obtenir une autorisation cinq jours à l'avance. Les manifestants doivent aussi faire approuver leurs slogans, et leurs discours ne doivent pas comporter de «fausses informations».

Malgré cette loi décriée par les organismes de défense des droits de la personne, notamment Human Rights Watch (HRW), les Birmans n'hésitent pas à mettre à l'épreuve leurs nouvelles libertés. Au début du mois de mai, les arrêts de travail dans les zones industrielles de Rangoon avaient ouvert la voie de la contestation sociale. «Trente-deux grèves en un seul mois ont touché les manufactures du pays [quinze ont été résolues depuis]», résume Tun Tun Naing, ancien prisonnier politique et volontaire du Comité pour l'émergence de syndicats libres.

La plus longue grève, dans l'usine coréenne de perruques Hi Mo, dure depuis le 9 mai. Après deux jours, les 2000 ouvrières avaient obtenu que leur salaire passe de 10$ à 36$ par mois. Elles ont dû retourner dans la rue à cause du refus de l'entreprise de respecter sa signature, rapporte Tun Tun Naing.

Les autorités ont toléré les manifestations du mois de mai, les marches aux chandelles comme celles des grévistes, même si elles se sont toutes tenues sans permis. La police a réprimé une marche aux chandelles dans la ville de Pyay, mais, à Rangoon, les forces de l'ordre se sont contentées de surveiller cet éveil de la société civile.

À la fermeture de la pagode Sule, les policiers s'adressaient poliment aux manifestants: «Merci d'avoir manifesté pacifiquement, veuillez maintenant partir, s'il vous plaît...»

La ligne rouge

Pourtant, un soir, deux camionnettes avec 40 fermiers expropriés ont été refoulées, place de la pagode Sule. «Les policiers nous ont lu un avis d'arrestation pour rassemblement illégal, si nous tentions de nous joindre au mouvement des chandelles», raconte Win Cho, homme d'affaires soutenant les fermiers victimes d'expropriations. «Nous voulions voir si cette ouverture s'applique également aux divers enjeux sociaux.»

Win Cho en conclut que la question de la propriété des terres est encore trop sensible pour laisser les expropriés s'exprimer sur la place publique. Les fermiers dénonçaient leur expropriation en périphérie de Rangoon, par une firme de l'un des plus grands magnats de Birmanie, Khin Shwe, également député du parti gouvernemental.

«Des hommes d'affaires liés au régime ont d'immenses intérêts financiers dans des ensembles résidentiels, touristiques ou industriels construits sur les terres agricoles expropriées», constate Win Cho, qui reconnaît du coup que le pouvoir en place a toujours ses limites.