Le premier ministre du Pakistan a été jugé jeudi coupable d'outrage à la justice pour son refus de coopérer dans une affaire de détournement de fonds présumés visant le président Asif Ali Zardari, un jugement qui pourrait faire de lui le premier «fusible» du chef de l'État.

Yousuf Raza Gilani, qui encourait six mois de prison, est ressorti libre, la Cour suprême ne l'ayant condamné qu'à une peine de prison symbolique limitée à la durée de l'audience, qui n'a pas excédé quelques minutes.

Mais cette condamnation ouvre la porte au lancement d'une procédure menant à sa destitution, car elle peut entraîner son exclusion du Parlement, d'où le premier ministre doit être issu.

Le principal leader de l'opposition, Nawaz Sharif a appelé à la démission «immédiate» de M. Gilani, le premier ministre resté le plus longtemps à son poste dans l'histoire du pays.

Mais peu d'observateurs prévoient une telle issue, en tout cas à court terme, la procédure de destitution pouvant durer plusieurs mois, et alors que des élections sont prévues au début 2013, voire pourraient être organisées avant, comme l'opposition le réclame depuis plusieurs mois.

D'autant que l'avocat de M. Gilani, Aitzaz Ahsan, a annoncé que son client ferait appel de cette décision, en arguant d'un défaut de procédure.

Si elle affaiblirait le président Zardari, une éventuelle démission de M. Gilani ne bouleverserait de toute façon pas la donne politique pakistanaise: leur parti, le Parti du peuple Pakistanais (PPP) qui dirige la coalition gouvernementale, devrait alors nommer rapidement un autre de ses membres à la place de M. Gilani.

La condamnation de jeudi nourrit toutefois la fragilité du pouvoir pakistanais, déjà fragilisé par une forte impopularité nourrie par des accusations récurrentes de corruption, une violente rébellion islamiste menée par les talibans et une profonde crise économique et énergétique.

Cette affaire qui dure depuis des mois est largement politisée, plusieurs responsables de la majorité ayant accusé la Cour suprême de vouloir faire tomber MM. Zardari et Gilani avant la fin du mandat présidentiel et les élections générales prévues en février 2013.

D'autres ont accusé l'appareil judiciaire de faire le jeu de la puissante armée -qui a dirigé le pays plus de la moitié du temps depuis son indépendance en 1947, et le reste du temps encadré de près le gouvernement civil -en affaiblissant encore plus le pouvoir politique.

Certains commentateurs estimaient dernièrement qu'une condamnation de M. Gilani à une peine de prison pourrait faire remonter la popularité du PPP, car celui-ci pourrait alors se poser en martyr.

«La Cour suprême en était bien consciente, et c'est pour cela qu'elle ne l'a pas envoyé en prison», a réagi jeudi l'analyste politique Imtiaz Gul.

Mais le fond de l'affaire vise surtout le président Asif Ali Zardari.

La Cour suprême avait annulé en décembre 2009 un décret amnistiant le chef de l'État et des milliers d'autres personnes soupçonnées de corruption et ordonné immédiatement au gouvernement pakistanais de réclamer à Genève la réouverture de son enquête.

Le 13 février dernier, elle avait inculpé M. Gilani pour outrage à la Cour pour ne pas s'être pliée à cette injonction depuis plus de deux ans. Depuis, le gouvernement s'évertue à invoquer l'immunité judiciaire dont jouit le président en exercice.

En 2010, le procureur de Genève avait également estimé qu'il ne pouvait poursuivre tant que M. Zardari serait président, en raison de son immunité judiciaire en tant que chef d'État. En 2003, un tribunal suisse avait reconnu coupables en première instance M. Zardari et son épouse, l'ex-première ministre Benazir Bhutto, de blanchiment de fonds publics détournés dans les années 1990 quand elle dirigeait le gouvernement, mais le couple avait fait appel.

M. Gilani pourrait in fine faire office de premier fusible dans cette affaire, selon les observateurs, alors qu'il n'est pas concerné par les détournements de fonds présumés reprochés au couple Bhutto-Zardari.