Le premier ministre du Pakistan va être inculpé le 13 février pour outrage à la Cour suprême pour avoir refusé depuis deux ans de relancer une procédure judiciaire en Suisse pour des détournements de fonds présumés par le très impopulaire président Asif Ali Zardari, dont le pouvoir est déjà vacillant.

La fermeté de la Cour met davantage en difficulté un chef de l'État et un gouvernement très impopulaires, accusés de corruption et de mauvaise gouvernance et confrontés à l'hostilité croissante de la toute puissante armée, le tout sur fond de crise économique aiguë.

Les soubresauts politiques au Pakistan sont également scrutés de près par les puissance occidentales parce qu'il est la seule puissance militaire nucléaire du monde musulman, en proie à une vague extrêmement meurtrière d'attentats des islamistes radicaux, et ses zones tribales du nord-ouest sont le principal sanctuaire d'Al-Qaïda dans le monde et la base arrière des talibans afghans.

Une inculpation contraindrait à la démission le premier ministre Yousuf Raza Gilani, qui n'est pas lui-même impliqué dans le fond de «l'affaire des comptes suisses» de M. Zardari, un scénario qui affaiblirait encore davantage le pouvoir du chef de l'État et pourrait déclencher des élections législatives anticipées, alors qu'elles sont prévues en 2013.

Le juge qui présidait l'audience, Nasir-ul-Mulk, a déclaré à la Cour qu'il y avait matière à poursuivre M. Gilani malgré l'insistance du gouvernement à invoquer l'immunité judiciaire dont jouit le chef de l'État en exercice.

«L'audience est ajournée au 13 février pour rédiger les chefs d'accusation. La présence du premier ministre sera requise devant la Cour», a ajouté le juge Mulk.

La Cour suprême avait annulé en 2009 un décret d'amnistie générale de 2007 exonérant M. Zardari de poursuites notamment dans une affaire de détournements présumés de fonds publics dans les années 1990 transférés sur des comptes en Suisse. Elle avait alors sommé le gouvernement de demander à la justice suisse de rouvrir les procédures judiciaires, ce qu'il n'a jamais fait.

«Nous avons le droit de faire appel et ce sera à la Cour de juger si elle suspend ou non son jugement le cas échéant», a commenté jeudi l'avocat de M. Gilani, Aitzaz Ahsan, ajoutant: «Nous déciderons quand nous aurons une copie du jugement».

Le 19 janvier, le premier ministre avait comparu en personne devant la Cour suprême qui avait ajourné l'audience pour laisser le temps au gouvernement de se plier à son injonction ou rendre ses arguments pour prouver que l'immunité présidentielle s'appliquait dans le cas des «comptes suisses».

«Écrire une lettre aux autorités suisses (pour qu'elles rouvrent la procédure) ne pose pas de problème», avait toutefois expliqué son avocat Aitzaz Ahsan, assurant que l'immunité présidentielle préserverait alors M. Zardari.

La Cour suprême en a manifestement jugé autrement jeudi.

Or, en 2010, le procureur de Genève avait déjà estimé qu'il ne pourrait rouvrir le dossier tant que M. Zardari serait président, en raison de cette immunité.

L'affaire remonte à 2007, lorsque le président d'alors, le général Pervez Musharraf, en grande difficulté, avait conclu une alliance secrète avec l'ex-première ministre Benazir Bhutto, leader de l'opposition de retour d'exil, pour un futur partage du pouvoir à l'occasion des législatives de 2008.

Pour cela, il avait décrété une amnistie générale exonérant plus de 8000 personnes -dont Benazir Bhutto et son époux Asif Ali Zardari- de toutes poursuites pour corruption. Le couple était notamment sous le coup d'enquêtes pour des détournements présumés de fonds publics du temps où elle était première ministre (1988-90 et 1993-96) et lui ministre.

Après l'assassinat de Mme Bhutto dans un attentat en décembre 2007, et la large victoire de son parti aux législatives de février 2008, M. Zardari avait été élu président par le Parlement.

En 2009, la Cour suprême avait annulé le décret d'amnistie de 2007.