La volonté affichée par Anna Hazare de se poser en «nouveau Gandhi» dans sa campagne anticorruption consterne des figures du militantisme qui dénoncent son agressivité et son absence de vision, à l'exact opposé des valeurs du guide spirituel et père de l'indépendance.

Hazare, entré lundi dans son septième jour de jeûne pour faire pression sur le gouvernement concernant un projet de loi, ne cesse de multiplier les références au Mahatma Gandhi («grande âme» en sanskrit), assassiné en 1948.

Sa ressemblance avec Gandhi -fines lunettes cerclées, tunique et calotte blanches- et ses discours enflammés plaidant pour «la deuxième liberté» de l'Inde, en référence à l'accession à l'indépendance du pays en 1947, alors sous domination britannique, ont tôt fait de l'envelopper d'une aura de guide.

Mais plusieurs figures reconnues du très actif monde militant, dont certaines s'appliquent à poursuivre les idéaux de Gandhi, commencent à élever la voix contre cette posture qui, selon elles, ne souffre pas la comparaison.

La romancière et militante Arundhati Roy a publié lundi dans le quotidien The Hindu une tribune expliquant pourquoi elle «préfère ne pas être Anna», une allusion au slogan inscrit sur les tee-shirts des manifestants: «Je suis Anna».

«Même si ses moyens sont peut-être gandhiens, les demandes d'Anna Hazare ne le sont certainement pas», a asséné la lauréate 2004 du prix Sydney de la Paix pour son engagement dans des campagnes sociales et son appui au pacifisme.

Les exigences de Anna Hazare, un militant de 74 ans, se sont cristallisées sur un projet de loi créant un poste de médiateur de la République censé surveiller les hommes politiques et les fonctionnaires du gouvernement.

Le militant exige que le texte soit amendé pour que le médiateur puisse aussi enquêter sur le premier ministre et des magistrats de haut rang en cas de soupçon de corruption.

Tout en reconnaissant que le texte soumis au parlement est en l'état «mauvais», Arundathi Roy estime que Gandhi, qui prônait une réforme du système politique, aurait été révulsé par la campagne plaidant pour un médiateur tout-puissant.

Elle s'estime aussi consternée par «le nationalisme agressif» du mouvement de Hazare. «Ils nous font comprendre que si l'on ne soutient pas sa grève de la faim, on n'est pas de ¨vrais Indiens¨», dénonce-t-elle avant de s'interroger: «Qui est-il vraiment, ce nouveau saint, cette voix du peuple ?»

Rajiv Vora, président du Mouvement gandhien pour l'autonomie, réseau d'organisations souscrivant à la vision de Gandhi, rejette également la tactique choisie pour lutter contre la corruption.

«Le fait de faire pression pour que le parlement adopte un texte dans un délai précis n'est pas du tout dans le style de Gandhi», dit-il à l'AFP. Hazare voudrait que le texte soit adopté d'ici au 30 août.

«Gandhi n'aurait jamais dit non plus qu'il fallait emprisonner et pendre tous les corrompus», insiste-t-il.

Anna Hazare a invectivé samedi les «traîtres» du gouvernement, affirmant que l'argent du Trésor public appartenait à la population. «Gandhi n'aurait jamais utilisé ce langage. Il n'était contre personne, il luttait contre l'administration coloniale», lâche-t-il.

M. Vora craint en outre de possibles accès de violence.

En cas d'échec de sa campagne, «les gens vont être frustrés et la violence va s'introduire dans le mouvement. Hazare peut aujourd'hui dire que son mouvement est non-violent parce qu'il ne fait face à aucune répression, mais que se passera-t-il s'il y a de la répression ?», interroge-t-il.

«Le test d'un mouvement se fait dans la lutte. Mais où est la lutte ? Elle se borne à un projet de loi et Hazare est seul à faire grève de la faim», analyse Rajiv Vora.

L'arrière petit-fils de Gandhi, Tushar, interrogé par l'AFP, estime lui que «la tentative de prendre la place laissée par Gandhi révèle la malhonnêteté de tout le mouvement».