Des lutteurs accusés de paris illégaux? L'affaire ne secouerait normalement pas tout un pays. Sauf si le scandale éclate au Japon et que les lutteurs sont des yokozuna, des champions de lutte sumo.

Depuis un mois, les révélations concernant du jeu clandestin organisé par la pègre entachent la vénérable institution japonaise. L'Association japonaise de sumo a admis au cours des derniers jours qu'au moins 27 lutteurs et entraîneurs avaient participé à des paris clandestins sur le baseball. Un autre coup qui jette le sumo au tapis: depuis 2007, les affaires de drogue et d'extorsion de fonds secouent le sport national nippon.

«Ce n'est pas qu'un sport», s'empresse de préciser Millie Creighton, professeure associée au Centre de recherches japonaises de l'Université de Colombie-Britannique. «La lutte sumo est un marqueur de l'identité culturelle et de la tradition japonaise.»

Les lutteurs de sumo ne sont pas seulement des balèzes à chignon, réputés manger 20 oeufs par jour et qui se battent en mini-slip. Le combat sumo compte des rituels spirituels empruntés à la religion shintoïste. Les lutteurs sont soumis à un code d'honneur strict auquel sont associées les valeurs de pureté. Ils vivent ensemble dans des immeubles qualifiés d'écuries, ils lancent du sel sur le ring pour le purifier avant chaque combat, ils ne manifestent pas de joie après la victoire et saluent respectueusement l'adversaire.

Autant de valeurs qui rend l'association des lutteurs à la pègre choquante, aux yeux des Japonais. Même si, ajoute Mme Creighton, la lutte sumo n'est pas à l'abri des critiques.

Notamment concernant les rituels rétrogrades observés dans les combats. «On y réaffirme par exemple l'infériorité des femmes», dit Mme Creighton. Les femmes ne sont pas autorisées dans l'espace réservé aux dignitaires, dont le premier ministre japonais, qui jugent le combat.

«C'est un espace de pureté, dit-elle. Puisque les femmes étaient considérées comme impures, elles ne peuvent y aller.» Une mesure critiquée par les Japonaises, notamment parce qu'advenant l'élection d'une femme à la tête du pays, elle ne pourrait s'y asseoir.

La mafia à la télé

Depuis quelques années, les champions de sumo ne sont pas seulement japonais, mais mongols ou même européens de l'Est. «La pratique du sport n'est plus aussi populaire et les clubs de sumo sont peu fréquentés dans les universités», observe Marc Humbert, directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo. «Par contre, les salles sont pleines à craquer et les téléspectateurs sont nombreux.»

Ils sont toutefois moins nombreux cette semaine pour le tournoi de Nagoya. Pour la première fois en 48 ans, à la suite de la publication des scandales impliquant les joueurs, la télé publique NHK ne retransmet pas les combats. Lors des derniers tournois, des responsables d'écurie ont fait asseoir au premier rang des chefs mafieux pour leur permettre de transmettre à la télévision un message silencieux de soutien à leurs alliés en prison.

Selon la police, les paris illégaux seraient une source de revenus pour les yakuza, ces membres de la mafia japonaise. Lundi, la police japonaise a poursuivi ses perquisitions aux domiciles d'un ancien lutteur et de son entraîneur. Fin juin, le coiffeur de l'écurie Onomatsu, qui fait les fameux chignons arborés par les lutteurs, a également été arrêté; il est suspecté être le lien entre les parieurs et leurs courtiers.

- Avec l'AFP et The Japan Times