Une revue scientifique traitant de génétique a retiré cette semaine, pour des raisons éthiques, 18 études d’origine chinoise qui étaient susceptibles de servir, selon un universitaire critique, à renforcer la capacité de surveillance de Pékin et de contribuer à la persécution de minorités ethniques.

Yves Moreau, bioinformaticien rattaché à la Katholieke Universiteit Leuven, en Belgique, dit avoir « bon espoir » que d’autres études de même nature seront retirées en raison de la décision, qui survient après des années de protestation.

« J’ai reçu très peu de coopération de la part de la revue et de la maison d’édition. Je les ai contactées pour la première fois en mars 2021, alors il aura fallu près de trois ans pour qu’elles prennent une décision. Il n’y a aucune raison pour que ce soit aussi long », a-t-il noté jeudi en entrevue à La Presse.

M. Moreau se préoccupe depuis des années des dérives pouvant découler de la collecte d’ADN par des régimes autoritaires et a notamment participé en 2015 à une campagne visant à empêcher le Koweït de recueillir des échantillons de cette nature pour l’ensemble de sa population.

Il s’est intéressé par la suite à la Chine, qui utilise la collecte d’ADN à grande échelle pour renforcer ses capacités policières et intimider la population, notamment au Tibet ou dans le Xinjiang, où la minorité musulmane fait l’objet d’une intense campagne de surveillance et de répression.

Toute la population âgée de 12 à 65 ans doit en théorie accepter de fournir un échantillon d’ADN dans cette dernière région, mais ce sont surtout les Ouïghours qui en font les frais, relève Maya Wang, spécialiste de la Chine à Human Rights Watch.

Le gouvernement chinois prélève aussi des échantillons d’ADN auprès de dizaines de millions de Chinois de la population générale, constituée en majeure partie de l’ethnie Han, afin de former une vaste banque biométrique destinée, là encore, aux forces de l’ordre.

D’autres pays, comme les États-Unis, ont aussi constitué des banques de données génétiques importantes à des fins policières, mais ils travaillent dans un cadre juridique autrement plus contraignant que celui de la Chine, note Mme Wang, qui s’inquiète de ce que le régime autoritaire peut faire de ces informations sensibles.

Complices

M. Moreau s’est intéressé dans ce contexte à la publication dans des revues scientifiques occidentales de dizaines d’études émanant de Chine qui visaient clairement, selon lui, à « développer et valider des méthodes d’analyse d’ADN pour la police ».

En les publiant, les revues se rendent en quelque sorte complices des dérapages pouvant en découler, note l’universitaire.

Par ailleurs, de nombreuses recherches reposaient sur des échantillons recueillis au Tibet ou auprès de personnes issues de minorités du Xinjiang, qui n’étaient pas en mesure, dit-il, de consentir en toute liberté à un tel prélèvement en raison de l’environnement répressif dans lequel elles vivent.

Autre élément problématique : certains des auteurs signant les articles avaient des liens directs avec la sécurité publique chinoise, témoignant d’un arrimage étroit, selon M. Moreau, entre le milieu universitaire et celui des forces de l’ordre.

Les 18 articles retirés cette semaine figuraient dans une publication appelée Molecular Genetics & Genomic Medicine (MGGM), qui a d’abord fait la sourde oreille aux demandes de l’universitaire.

Après avoir tenté en vain de convaincre la rédactrice en chef de MGGM, il a écrit aux membres du conseil d’administration pour expliquer ses doléances et s’est ensuite adressé à Wiley, un éditeur spécialisé d’envergure internationale qui chapeaute la publication.

La décision est finalement arrivée cette semaine. MGGM a précisé en ligne que les articles retirés avaient été passés en revue après que des questions ont été soulevées « par un tiers » et que l’enquête a révélé des « incohérences » entre la documentation sur le consentement et la recherche rapportée.

La revue a souligné par ailleurs que les auteurs de nombreuses études s’étaient opposés à la décision de rétractation.

M. Moreau note que la formulation utilisée par la revue scientifique est volontairement vague et vise notamment à éviter toute difficulté avec les auteurs et les autorités chinoises, qui peuvent se montrer très agressives, dit-il, lorsque leur image est mise en cause.

« J’ai identifié au total 70 études problématiques que je cherche à faire retirer. Avec ce que vient de faire Wiley, je pense que d’autres vont suivre », a déclaré l’universitaire belge.