Si le Oui l’emporte, les peuples indigènes d’Australie pourront se faire entendre au Parlement. Mais les sondages donnent le Non gagnant.

En Australie, C. Moore Hardy est surtout connue pour son travail de photographe et de militante LGBTQ+. Mais depuis quelques semaines, elle se fait plutôt entendre comme défenseure de la cause autochtone dans son pays.

C’est elle, notamment, qui a fondé la page Facebook des « Artistes pour le Oui » (Artists for YES ! YES ! YES !), en vue du référendum du samedi 14 octobre sur la « Voix » des Autochtones au Parlement australien.

« Nos peuples indigènes sont les seuls au monde à n’avoir toujours pas reçu de reconnaissance pour leur existence, déplore Mme Hardy. En tant qu’artiste, j’ai pensé que ce groupe Facebook pouvait aider à diffuser des images positives et des messages inspirants. »

PHOTO WILLIAM WEST, AGENCE FRANCE-PRESSE

Si le Oui l’emporte, les peuples indigènes d’Australie pourront se faire entendre au Parlement australien.

Le référendum du 14 octobre, aussi connu comme le référendum sur la « Voix » des peuples indigènes, demandera à la population australienne si elle est en faveur – ou non – d’un amendement à la Constitution, qui donnerait aux Aborigènes et aux Autochtones du détroit de Torres (îles entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée) le droit d’être consultés au Parlement sur les politiques les concernant.

Ce « droit » ne serait pas un veto. Une victoire du Oui signifierait simplement qu’un organe consultatif autochtone serait mis sur pied pour faire des recommandations dans des domaines aussi sensibles que la santé, l’éducation, le logement ou le territoire.

Une proposition sensée, considérant que les membres des Premiers Peuples, qui représentent environ 3 % de la population, sont plus touchés que les autres Australiens par les problèmes de mortalité précoce, d’inégalités sociales, de problèmes judiciaires ou d’accès au système de santé. Ceci expliquant en partie cela, leur espérance de vie serait de 8 ans plus courte que celle des non-Autochtones.

« L’idée de base, c’est vraiment de créer une structure à l’intérieur du Parlement pour représenter les Autochtones, explique Jeremy Webber, professeur émérite à l’Université Victoria en Colombie-Britannique, spécialiste de la question. Ce serait un peu comme une troisième chambre, qui serait protégée par la Constitution. »

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Si les sondages disent juste, le Non devrait l’emporter par une bonne marge.

Le Non favori

Sur papier, un beau projet.

Et pourtant. Si les sondages disent juste, le Non devrait l’emporter par une bonne marge, on parle d’une victoire à 60 % contre 40 %.

Parmi les Australiens qui se disent contre, certaines disent craindre une bureaucratie alourdie et critiquent un projet vague, dont les piliers n’ont pas été suffisamment précisés.

D’autres estiment que ce changement constitutionnel créerait des divisions non souhaitables dans la société.

« Certains Australiens blancs rejettent l’idée que les Autochtones aient prééminence, souligne David MacDonald, expert des questions coloniales et autochtones à l’Université de Guelph. Il y a cette croyance qu’ils obtiendraient des droits spéciaux et qu’ils doivent être traités comme tout le monde, même si ce sont les Premiers Peuples du pays. »

Pour C. Moore Hardy, cette perception a été notamment exacerbée par le travail de sape de la droite, qui a tout fait pour discréditer le plébiscite du premier ministre travailliste Anthony Albanese (gauche).

« Les mensonges de l’opposition ont créé encore plus de confusion et de racisme dans le pays, lance la militante. C’est dégoûtant de voir cette rhétorique et ce déni des droits de la personne les plus élémentaires. Il faut vraiment être désinformé pour croire que les Premières Nations divisent ce pays. »

PHOTO DAVID GRAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un certain nombre de voix d’Autochtones s’élèvent aussi contre le projet.

Un « acte génocidaire »

Étonnant du reste : un certain nombre de voix d’Autochtones s’élèvent aussi contre le projet.

Parmi elles, celle de la sénatrice Lidia Thorpe, qui réclame une annulation pure et simple du scrutin.

Bien connue pour ses positions politiques tranchées (elle avait traité l’an dernier la reine de « colonisatrice »), Mme Thorpe estime que le référendum ne va pas assez loin et que c’est une « façon facile de prétendre progresser ». Dénonçant « l’impuissance du corps consultatif proposé », elle appelle plutôt à la signature de traités, comme c’est le cas au Canada ou encore en Nouvelle-Zélande, où une demi-douzaine de sièges parlementaires sont réservés à des députés maoris.

PHOTO MICK TSIKAS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La sénatrice indépendante Lidia Thorpe

La sénatrice indépendante en a remis cette semaine, après avoir été menacée de mort par un néonazi qui a brûlé un drapeau aborigène sur les réseaux sociaux. Elle a décrit le référendum comme un « acte génocidaire » contre son peuple et une tentative d’« assimilation ».

Le vote s’est ouvert mardi dernier dans une grande partie de l’Australie pour ceux et celles qui ne seront pas disponibles le 14 octobre. C. Moore Hardy s’est rendue tous les jours dans les bureaux de scrutin pour distribuer des tracts en faveur du Oui. « Je ne peux pas supporter l’idée que le Non l’emporte », dit-elle, inquiète.

David McDonald estime pour sa part qu’une victoire du Non serait une « occasion manquée » pour les Autochtones d’Australie.

« On parle d’un organe consultatif, sans pouvoir politique réel. Si la population blanche australienne dit : cela ne nous intéresse pas d’entendre votre voix et vos conseils sur les choses qui sont importantes pour vous, c’est quand même une insulte. Cela démontre un manque d’empathie et un refus pour le dialogue.

« Pour les Autochtones, ce serait comme une claque en plein visage. »