(Bharsingpura) Un vieux mandat de comparution, adressé au leader sikh canadien dont l’assassinat est au centre de la crise diplomatique entre l’Inde et le Canada, reste collé sur la maison familiale dans son village pendjabi, où beaucoup croient aux accusations d’Ottawa contre New Delhi.

Le paisible hameau de Bharsingpura dans l’État du Pendjab (Nord), est en effervescence depuis que le premier ministre canadien Justin Trudeau a demandé à l’Inde de « prendre au sérieux » l’affaire du meurtre de Hardeep Singh Nijjar et les « éléments crédibles » d’implication de New Delhi évoqués lundi par Ottawa.

Des accusations qualifiées d’« absurdes » par le gouvernement indien qui a démenti « tout acte de violence au Canada ».  

Mais Himmat Singh, l’oncle de Nijjar, ne doute pas des propos de M. Trudeau, suggérant que des agents du Research and Analysis Wing (RAW), services de renseignement indiens, aient tué son neveu.

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Himmat Singh, l’oncle de Hardeep Singh Nijjar

« Je pense que c’est l’œuvre du gouvernement indien. Oui, les agents du RAW sont impliqués », confie à l’AFP ce frêle fermier de 79 ans, à son domicile.  

Convaincus par Trudeau

« Il est impossible que le premier ministre d’un pays porte une telle accusation sans aucune preuve. Je crois à ce que Trudeau a dit », souligne M. Singh.

Le gouvernement indien peut qualifier n’importe qui de terroriste.

Himmat Singh, oncle de Hardeep Singh Nijjar

Nijjar était recherché par les autorités indiennes pour des faits présumés de terrorisme et de conspiration en vue de commettre un meurtre.  

Il avait nié ces accusations, selon l’Organisation mondiale des sikhs du Canada, un groupe de défense des intérêts sikhs canadiens.

Hardeep Singh Nijjar a été abattu en juin au Canada par deux hommes masqués sur le stationnement du temple sikh qu’il dirigeait à Surrey, près de Vancouver, en Colombie-Britannique.  

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Une affiche avec le visage d’Hardeep Singh Nijjar

Militant pour la création du « Khalistan », un État sikh indépendant dans le nord de l’Inde, Nijjar était arrivé au Canada en 1997 et avait été naturalisé en 2015.

Il était né en 1977 dans l’État indien du Pendjab, comptant 58 % de sikhs. L’État fut secoué par un violent mouvement séparatiste dans les années 1980 et au début des années 1990, qui a fait des milliers de morts.

L’Inde s’est souvent plainte de l’activité de la diaspora sikhe à l’étranger, notamment au Canada, susceptible, selon New Delhi, de relancer le mouvement séparatiste grâce à une aide financière massive.

Aujourd’hui, les partisans les plus virulents du mouvement sont principalement issus de la diaspora de cette région.

« Sans faute »

La grande maison rouge et jaune familiale, au sein du village prospère, flanqué de rizières vertes, est scellée depuis le 8 octobre 2021, selon le mandat collé au-dessus de la sonnette, invitant Nijjar à comparaître le 11 septembre 2023, « sans faute ».  

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Un policier examine un vieux mandat de comparution collé devant la maison du séparatiste sikh Hardeep Singh Nijjar, dans son village de Bharsingpura, en Inde.

Nijjar est notamment accusé d’être le commanditaire de l’attaque menée en 2021 contre Kamaldeep Sharma, un prêtre hindou résidant à Bharsingpura. M. Sharma a été blessé par balle par des hommes masqués, ayant fait irruption dans son temple.

Mais M. Sharma refuse de croire à l’implication de Nijjar.

« Je n’avais aucune inimitié. Nijjar n’était pas impliqué dans l’attaque. Je ne sais pas comment les agences d’investigation ont pu le trouver coupable dans mon affaire », s’étonne encore M. Sharma, 39 ans.  

« En fait, la famille de Nijjar m’a aidé et a payé mes soins », précise-t-il.

« Moyens extrajudiciaires »

Kanwar Pal Singh, secrétaire de Dal Khalsa, une organisation pro-« Khalistan », évoque Nijjar comme étant un « humble sikh », « aimé de tous dans sa région ». L’organisation a fait du militant assassiné un « martyr ».

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Le secrétaire de Dal Khalsa, une organisation pro-« Khalistan », Kanwar Pal Singh

« Aux yeux des sikhs, les agences indiennes sont les principaux suspects », affirme-t-il à l’AFP.

« L’Inde avait demandé au Canada de lui remettre Nijjar. Ayant échoué légalement, elle a eu recours à des moyens extrajudiciaires », accuse-t-il. 

Si elle a les mains propres, l’Inde devrait se joindre à l’enquête.

Kanwar Pal Singh, secrétaire de Dal Khalsa, une organisation pro-«Khalistan »

A Bharsingpura, Ram Lal, chef de ce village agricole, appuie le gouvernement indien.

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Le chef du village agricole de A Bharsingpura, Ram Lal

« Nijjar croyait en la violence et la violence n’est une solution à aucun problème », commente-t-il à l’AFP. « Le Canada porte de fausses accusations. Quelles preuves ont-ils sur l’implication des Indiens ? »

Le fermier Amreek Singh pointe toutefois qu’il reste de nombreuses questions sans réponses. « Comment pouvait-il perpétrer des meurtres et des attentats à la bombe en Inde ? il ne vivait même pas ici. »