Un attentat suicide ciblant une mosquée située au cœur d’un complexe gouvernemental sécurisé de Peshawar, dans le nord-ouest du Pakistan, a fait au moins 83 morts et des dizaines de blessés lundi, témoignant de l’insécurité croissante qui touche le pays.

Une puissante explosion est survenue en début d’après-midi, entraînant l’effondrement du toit et d’un mur extérieur du bâtiment alors que des centaines de personnes, pour la plupart des policiers, étaient réunies pour prier.

Les talibans pakistanais du Terheek-e-Taliban (TTP), qui intensifient leurs attaques contre les forces de l’ordre depuis quelques mois, ont officiellement condamné l’attentat en arguant que ses militants ne sont pas autorisés à frapper un tel lieu de culte.

Des militants liés à une faction particulièrement radicale de l’organisation ont cependant indiqué en ligne qu’il s’agissait d’un acte de « vengeance » pour la mort d’un commandant redouté ayant été tué début août, relève Asfandyar Mir, spécialiste de l’Asie du Sud rattaché au United States Institute of Peace (USIP).

Établi à Washington, M. Mir a indiqué en entrevue lundi qu’il ne fait pas de doute que la faction en question a les capacités pour réaliser une telle opération.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Asfandyar Mir, spécialiste de l’Asie du Sud rattaché au United States Institute of Peace (USIP)

C’est un coup terrible pour les forces de police pakistanaises qui va avoir un effet démoralisateur très important.

Asfandyar Mir, spécialiste de l’Asie du Sud rattaché au United States Institute of Peace (USIP)

Les autorités pakistanaises ont placé le pays en état d’alerte, allant jusqu’à déployer des tireurs d’élite sur des bâtiments de la capitale pour parer à toute éventualité.

« Les terroristes veulent créer la panique en ciblant ceux qui remplissent leur devoir consistant à défendre le Pakistan », a accusé le premier ministre Shehbaz Sharif dans un communiqué rapporté par l’Agence France-Presse.

Modus operandi

Le TTP, qui entretient des relations étroites avec les talibans afghans, est reparti à l’offensive contre lslamabad en novembre après avoir coupé court à des pourparlers avec le pouvoir central qui ont duré plusieurs mois.

Ils ont mené depuis ce temps des dizaines d’attaques leur ayant permis d’élargir leur influence, même s’ils ne contrôlent pas actuellement de zone territoriale importante, relève M. Mir.

Le TTP, officiellement créé en 2007, a pour objectif ultime de renverser le gouvernement en place à Islamabad pour instaurer un régime basé sur une interprétation très stricte de la charia.

PHOTO ABDUL MAJEED, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’explosion a éventré la mosquée, annexée au quartier général de la police de Peshawar.

Après avoir multiplié les attaques ciblant des civils, les dirigeants de l’organisation ont modifié leur modus operandi dans un manifeste en 2018 en relevant qu’ils ne cibleraient plus que les forces de sécurité et les services de renseignements du pays.

Bien qu’ils aient longtemps été alliés au Pakistan et aient fait cause commune pour renverser le précédent gouvernement à Kaboul et obtenir le départ des troupes américaines, les talibans afghans soutiennent le TTP, note M. Mir.

Après leur retour au pouvoir à l’été 2021, ils ont libéré des dizaines de militants de l’organisation et offert l’asile de facto à des commandants de haut niveau pour leur permettre d’organiser leurs forces et d’orchestrer des opérations dans le pays voisin.

Réplique d’Islamabad

Le gouvernement pakistanais tente maintenant de convaincre les talibans afghans d’intervenir pour contrôler leurs homologues pakistanais, un scénario jugé peu réaliste par le représentant de l’USIP.

Il n’exclut pas la possibilité que le pays cherche à lancer une offensive militaire d’envergure pour affaiblir le TTP, comme il l’avait fait en 2014 dans les zones du nord-ouest proches de la frontière avec l’Afghanistan, ou mène des frappes ciblées en territoire afghan.

Les difficultés économiques du gouvernement, aussi aux prises avec une importante instabilité politique, risquent cependant de compliquer l’organisation d’une réponse musclée, dit-il.

Réseau tentaculaire

La montée en puissance du TTP est aussi de nature à inquiéter les États-Unis, qui avaient obtenu l’assurance des talibans afghans qu’aucun groupe susceptible de vouloir orchestrer des attaques à l’étranger ne serait hébergé sur leur territoire, une fois les troupes américaines parties.

Bien qu’ils insistent aujourd’hui sur le caractère local de leurs objectifs, les talibans pakistanais entretiennent des liens de longue date avec Al-Qaïda et le groupe armé État islamique, et ont déjà tenté de frapper en sol américain.

Ils avaient orchestré une attaque à New York en 2010, qui a mené à leur désignation formelle comme organisation terroriste par Washington. Un homme avait alors tenté en vain de faire exploser une voiture piégée à Times Square.

« Il faut se méfier du narratif des talibans afghans » voulant qu’ils ne laisseront aucune organisation vouée au djihad international se développer sur leur territoire, note Asfandyar Mir.

Plus encore depuis la découverte à l’été 2022 de la présence à Kaboul de l’ex-numéro un d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, qui a été tué par une frappe de drone américaine.

L’administration du président Joe Biden demeure convaincue qu’elle dispose d’outils de contreterrorisme suffisants pour « contrôler la menace », mais elle a tout de même de bonnes raisons d’être inquiète face à la montée en force du TTP, note l’analyste de l’USIP.