(Rangoun) La junte au pouvoir en Birmanie depuis le 1er février s’est dite mardi résolue à « réprimer l’anarchie », indifférente aux nouvelles sanctions prises la veille par les États-Unis et l’Union européenne.

Plus de 260 civils ont été tués par les forces de sécurité depuis le coup d’État militaire qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP).

Disparus par centaines

Et le bilan pourrait être beaucoup plus lourd puisque des centaines de personnes arrêtées ces dernières semaines sont portées disparues.

« Je suis triste, car les terroristes et les personnes violentes qui sont morts sont nos ressortissants », a déclaré dans la capitale Naypyidaw Zaw Min Tun, le porte-parole du régime, au cours d’une des rares conférences de presse organisées par les militaires depuis leur passage en force. Il a fait état de 164 morts.

Mais « nous devons réprimer l’anarchie. Quels pays dans le monde acceptent l’anarchie ? », a ajouté le porte-parole militaire selon lequel cinq policiers et quatre soldats ont été tués.  

Il a en outre précisé que l’accès à internet resterait restreint « pendant une certaine période ».  

Recours aux armes létales, pillages, arrestations en masse : l’armée n’a cessé d’intensifier la répression pour tenter d’étouffer la fronde démocratique en Birmanie, un expert de l’ONU dénonçant de probables « crimes contre l’humanité ».

Le bilan s’alourdit chaque jour. Au moins trois personnes ont été abattues lundi à Mandalay (centre) dont un adolescent « sorti chercher de l’eau devant sa maison », selon l’AAPP.

L’ONG Save the Children, qui a précisé que ce dernier était âgé de 14 ans, s’est dite « horrifiée que des enfants continuent de figurer parmi les cibles de ces attaques mortelles ».

Malgré l’effusion de sang, la mobilisation ne faiblit pas.

« La liberté plutôt que la peur »

À Rangoun, la capitale économique en partie soumise à la loi martiale, des manifestants ont défilé mardi avant l’aube pour tenter de déjouer la riposte des forces de sécurité. « La liberté plutôt que la peur », « Debout pour les droits humains », pouvait-on lire sur leurs banderoles.

Médecins, cheminots, enseignants : de nombreux fonctionnaires et salariés du privé restent en grève, paralysant des secteurs entiers de la fragile économie.

La junte n’a quant à elle pas évoqué mardi les nouvelles sanctions imposées la veille par Bruxelles et Washington.

L’Union européenne a gelé les avoirs et interdit la présence sur son territoire de onze responsables dont le chef de la junte, le général Min Aung Hlaing.  

Il s’agit des premières mesures coercitives décidées par l’UE depuis le 1er février. Plusieurs militaires avaient déjà été sanctionnés ces dernières années pour les persécutions contre la minorité musulmane des Rohingyas.

Les États-Unis ont de leur côté élargi leur liste des officiers de haut rang ciblés, sanctionnant aussi deux divisions de l’armée accusées d’avoir participé à « l’assassinat de manifestants ».

« Cela ne leur fait ni chaud ni froid. Les sanctions ciblées sous les dictatures militaires précédentes sont toujours restées sans grand effet », a commenté pour l’AFP Françoise Nicolas, la directrice Asie de l’Institut français des relations internationales.

La grève générale a un impact sur l’armée

« La grève générale a un poids beaucoup plus lourd. Les généraux étaient peu préparés à une telle résistance ».

La Birmanie reste interdite de toute information indépendante. Outre les connexions internet mobiles coupées ainsi que des réseaux wifi, les journaux privés ont tous fermé et seuls les médias d’État couvrent la crise.

Une quarantaine de journalistes ont été arrêtés dont un correspondant birman de la BBC finalement libéré lundi.

Une enquête pour violation des lois sur le secret d’État et l’immigration a été ouverte à l’encontre de l’économiste australien Sean Turnell en détention, pour lequel des contacts ont été autorisés avec l’ambassade australienne et sa famille, a dit Zaw Min Tun. Cet ex-conseiller d’Aung San Suu Kyi avait été le premier étranger à avoir été arrêté après le coup d’État.

L’Australie fournit également une assistance consulaire à un couple d’Australiens, Matthew O’Kane et Christa Avery — qui a également la nationalité canadienne —, assigné à résidence après avoir tenté vendredi de partir en avion.

Jours de grande tension en vue

Les jours qui viennent s’annoncent encore très tendus.

Mercredi, Aung San Suu Kyi, 75 ans, doit comparaître devant la justice. Elle n’a pas été vue en public depuis son arrestation le 1er février.

Elle fait face à des accusations de corruption et est inculpée de plusieurs autres infractions. Si elle est reconnue coupable, elle pourrait être condamnée à de longues années de prison et bannie de la politique.

Les observateurs craignent aussi des tensions samedi, à l’occasion de la « journée des forces armées » pendant laquelle un grand défilé est habituellement organisé à Naypyidaw.

L’ambassade d’Australie a demandé mardi aux Australiens restés en Birmanie de « se préparer à se mettre à l’abri ». Le Royaume-Uni a déjà conseillé à ses expatriés de quitter ce pays.