(Tokyo) Les militaires américains voient Taïwan comme la prochaine cible de Pékin après la reprise en main de Hong Kong et craignent avoir du mal à défendre l’île face à une armée chinoise dont ils surveillent la modernisation accélérée avec inquiétude.

Le chef des forces américaines dans la région indopacifique, l’amiral Philip Davidson, a jeté un pavé dans la mare la semaine dernière en affirmant au Congrès américain que la Chine, qui considère Taïwan comme partie intégrante de son territoire, pourrait envahir l’île « au cours des six prochaines années ».

Pékin a répondu que le militaire américain « exagérait » la menace afin de justifier l’augmentation des dépenses militaires américaines et la présence des États-Unis en Asie.

Questionné mardi à ce sujet à Tokyo, où la question de Taïwan a figuré en bonne place des discussions des chefs de la diplomatie et de la défense des États-Unis et du Japon, le chef du Pentagone Lloyd Austin a souligné que les « actions coercitives (de la Chine) ne sont pas acceptables ».

« En ce qui concerne un calendrier spécifique, je ne veux pas entrer dans des hypothèses », a-t-il répondu. « Mon travail, c’est de m’assurer que nous sommes aussi prêts que possible à répondre, aussi rapidement que possible, à tout défi auquel nous ou l’alliance serions confrontés ».  

L’amiral Davidson défendait auprès du Congrès des investissements militaires de deux milliards de dollars par an dans la région pour rétablir ce qu’il a appelé « une dissuasion » face à l’expansionnisme chinois.

Mais l’armée américaine justifie son analyse par une série de facteurs militaires et symboliques, qui selon elle annoncent une tentative de Pékin d’envahir l’île (officiellement la « République de Chine ») où s’étaient réfugiés en 1949 les nationalistes après la victoire des communistes à l’issue de la guerre civile chinoise.

La « République populaire de Chine » considère l’île comme une province rebelle appelée à revenir dans le giron de Pékin, par la force si nécessaire. Et les États-Unis, même s’ils ne reconnaissent pas l’île comme un État indépendant, se sont engagés formellement à la défendre.

Or l’armée chinoise a accéléré sa modernisation ces derniers mois, même en période de pandémie, en focalisant son effort sur des armements particulièrement adaptés à une invasion de Taïwan, a indiqué à quelques journalistes un responsable militaire américain ayant requis l’anonymat.

« Au milieu de la COVID-19, la Chine a mis en service 25 nouveaux navires de guerre, et ce n’était pas des bateaux de patrouilles ou des remorqueurs », a-t-il indiqué. « C’était des croiseurs, des destroyers, des frégates, des navires amphibies et des sous-marins équipés de missiles balistiques ».

Les navires amphibies et les frégates seraient adaptés à une prise de contrôle du détroit de Taïwan qui sépare l’île du continent, tandis que les croiseurs et les sous-marins pourraient servir à tenir les États-Unis à distance, a-t-il expliqué.

Un équilibre à maintenir

En outre, l’armée chinoise s’est réorganisée en commandements régionaux, un peu comme l’armée américaine, et l’un d’eux est spécialement chargé de Taïwan, a-t-il noté.  

Plus symboliquement, Pékin a fait l’an dernier de l’année 2027 un nouveau jalon dans la modernisation de l’armée chinoise et « c’est une accélération de 8 ans par rapport au calendrier précédent qui fixait ce jalon à 2035 depuis plusieurs années », a expliqué ce haut responsable américain.

Enfin, l’année 2027 marquera la fin d’un probable troisième mandat de cinq ans du président chinois Xi Jinping, dont le mandat actuel expire l’an prochain.

« Donc rien n’est définitif », a-t-il conclu, mais si les États-Unis s’en tiennent aux déclarations officielles chinoises, « nous nous leurrons ».

Ces inquiétudes ne signifient pas que les États-Unis veulent changer l’équilibre des forces à Taïwan, a souligné un deuxième haut responsable militaire. « Il y a un équilibre » à maintenir, a-t-il expliqué.  

Aujourd’hui, l’armée chinoise survole quasi quotidiennement Taïwan pour exercer une pression continue sur la défense aérienne taïwanaise afin de l’affaiblir, a-t-il rappelé. « Mais si nous intervenons, nous deviendrons le catalyseur qui aggravera le problème ».

« Nous savons que si nous en faisons trop, la Chine va utiliser les apparences pour en faire plus contre Taïwan », a-t-il conclu.

La position officielle de l’administration du président Joe Biden se situe dans la continuité de celle de son prédécesseur Donald Trump : les États-Unis restent engagés à aider Taïwan à se défendre face à la Chine et à dissuader Pékin d’intervenir par une présence militaire visible dans la zone.

« Cela fait un moment que les préparatifs liés à Taïwan sont au centre de la modernisation de l’armée chinoise », a déclaré lundi à la presse le sous-secrétaire de la Défense chargé de l’Asie, David Helvey. « Il est évident que nous surveillons de très près l’équilibre des forces dans le détroit de Taïwan ».