(Rangoun) Près d’un millier de Birmans manifestaient samedi à Rangoun, le plus gros rassemblement depuis le coup d’État contre Aung San Suu Kyi, tandis que les généraux putschistes, avec qui l’ONU a établi un premier contact, censuraient internet.

« À bas la dictature militaire », criaient des contestataires dans la capitale économique, agitant des drapeaux rouges aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti de l’ex-dirigeante de 75 ans, arrêtée lundi.

La censure se poursuitBirmanie connaît des « coupures d’internet » dans l’ensemble du pays, constatait samedi l’ONG de surveillance d’internet, NetBlocks.

Ces importantes perturbations « ont commencé vers 10 h » heure locale (22 h 30, HE), a fait savoir l’organisation.

L’accès à Twitter et Instagram avait été restreint vendredi soir pour tenter de faire taire la contestation qui continue à émerger dans le pays, surtout sur les réseaux sociaux où les hashtags #WeNeedDemocracy, #HeartheVoiceofMyanmar, #Freedomfromfear ont été utilisés des millions de fois.

Le groupe norvégien Telenor, l’un des principaux opérateurs de télécommunications du pays, a confirmé que les autorités avaient ordonné le blocage de ces plates-formes « jusqu’à nouvel ordre ».

« Nous sommes profondément préoccupés » par cette injonction qui porte atteinte « au droit des gens de faire entendre leurs voix », a indiqué à l’AFP un porte-parole de Twitter.

L’armée avait ordonné deux jours plus tôt d’empêcher l’accès à Facebook, principal outil de communication pour des millions de Birmans.

Ces réseaux servent à « provoquer des malentendus chez le public », a justifié le ministère des Transports et des Communications, dans un document que l’AFP a pu consulter.

Pour tenter d’échapper à la censure, des Birmans se tournent vers des VPN, outils virtuels qui permettent de contourner toute restriction géographique.

Premier contact de l’ONU

Les évènements restaient au cœur de l’agenda international.

Christine Schraner Burgener, envoyée spéciale de l’ONU pour la Birmanie, a eu un premier contact avec les militaires.

Elle a « clairement exprimé notre position » : mettre un terme au coup d’État et libérer les personnes détenues, a indiqué vendredi à la presse, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Mais le Conseil de sécurité n’a pas formellement condamné le putsch dans sa déclaration commune, Chinois et Russes s’opposant à une telle prise de position.

La Chine reste le principal soutien de la Birmanie aux Nations unies, où elle a contrecarré toute initiative contre l’armée au moment de la crise des musulmans rohingya.

Une réunion en ligne s’est aussi tenue vendredi entre les autorités birmanes et plusieurs diplomates et ambassades étrangères, selon le journal Global New Light of Birmanie, détenu par l’État.

« Le gouvernement comprend les préoccupations de la communauté internationale sur la poursuite du processus de transition démocratique » du pays, a déclaré le ministre de la Coopération internationale Ko Ko Hlaing lors de cette réunion, selon le journal.

L’Union européenne et les États-Unis font planer la menace de sanctions depuis les premières heures du coup d’État.

Écrivains, moines, étudiants, activistes, députés, responsables locaux : l’armée a multiplié les arrestations.

Win Htein, proche d’Aung San Suu Kyi, qui a passé plus de vingt ans en détention sous la junte, de 1989 à 2010, a été arrêté vendredi.

« Chasser les démons »

Malgré la peur des représailles, dans un pays habitué aux répressions sanglantes comme en 1988 et 2007, des centaines d’enseignants et d’étudiants avaient déjà manifesté vendredi à Rangoun.

Des dizaines de fonctionnaires avaient cessé le travail dans plusieurs ministères et 300 députés organisé une session virtuelle pour dénoncer la prise de contrôle du parlement.

À la tombée de la nuit, des habitants de la capitale économique ont une fois de plus klaxonné et tapé sur des casseroles pour « chasser les démons », les militaires.

Une vingtaine de personnes qui avaient ainsi manifesté leur mécontentement la veille ont été condamnées à sept jours de détention. Quatre étudiants ont été inculpés pour avoir manifesté.

Le chef de l’armée, Min Aung Hlaing, qui concentre désormais l’essentiel des pouvoirs, a expliqué son passage en force en alléguant qu’il y avait eu d’« énormes » fraudes aux législatives de novembre, massivement remportées par la LND.

En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire de la LND qui aurait pu vouloir modifier la Constitution, très favorable aux militaires, estiment des analystes.

Min Aung Hlaing, paria à l’international depuis les exactions de l’armée contre les Rohingya et proche de la retraite, a aussi renversé Aung San Suu Kyi, adulée dans son pays, par ambition politique, d’après ces experts.

Cette dernière a été inculpée pour avoir enfreint une obscure règle commerciale et se trouve « assignée à résidence » dans la capitale Naypyidaw, « en bonne santé », d’après un porte-parole de la LND.

Les militaires ont instauré l’état d’urgence pour un an et promis des élections à l’issue de cette période.