Denise Ho et six autres militants ont été interpellés mardi par la police. Le Canada se dit « préoccupé ».

Nouveau coup dur pour les militants prodémocratie à Hong Kong. Le média en ligne Stand News a annoncé mercredi sa fermeture après une série de perquisitions et d’arrestations pour « publication séditieuse ».

Parmi les sept personnes interpellées par la police se trouve la chanteuse montréalaise d’origine hongkongaise Denise Ho. Un coup de filet jugé « préoccupant » par la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly.

L’arrestation de Denise Ho, alias HoCC, « n’est pas surprenante. Ce n’était qu’une question de temps », estime le professeur Benjamin Fung, porte-parole de l’association Action Free Hong Kong Montréal et expert de la cybersécurité à l’Université McGill.

Selon lui, cette superstar de la pop cantonaise était depuis longtemps dans le collimateur des autorités chinoises.

En plus d’être une ambassadrice bien connue du mouvement LGBT, elle était une des rares personnalités de l’industrie du divertissement à user de sa notoriété pour faire avancer la cause du mouvement prodémocratie à Hong Kong.

En 2019, elle avait notamment témoigné devant le Congrès américain et l’Organisation des Nations unies sur les brutalités policières à Hong Kong. Elle avait aussi fait partie du conseil d’administration de Stand News, ce qui lui a valu d’être formellement écrouée pour « conspiration ».

PHOTO PABLO MARTINEZ MONSIVAIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La militante de Hong Kong Denise Ho au Capitole à Washington, le mercredi 18 septembre 2019

« Je crois qu’elle s’attendait à être arrêtée. Depuis deux ou trois ans, plusieurs personnes l’avaient encouragée à quitter le pays », ajoute Benjamin Fung.

M. Fung affirme que les autorités de Hong Kong ont annulé ses concerts en 2021, forçant la chanteuse à se produire sur les réseaux sociaux. Depuis ses premiers discours militants en 2014, elle n’avait plus le droit de se produire en Chine continentale.

Denise Ho, qui a grandi à Brossard et étudié au collège Jean-de-Brébeuf, est la première grosse vedette à être détenue à Hong Kong depuis que Pékin a imposé sa loi pour la sécurité nationale il y a 18 mois, en réponse aux manifestations prodémocratie de 2019.

La nouvelle de son arrestation s’est propagée comme une traînée de poudre sur l’internet, où les messages de soutien se sont multipliés mercredi. Dans un message destiné à rassurer, la chanteuse a écrit sur sa page Facebook qu’elle allait bien et qu’il ne fallait pas s’inquiéter.

Le gouvernement canadien, de son côté, a réagi tardivement à la nouvelle de sa détention. Dans un tweet publié mercredi en fin d’après-midi, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, s’est dite « profondément préoccupée par l’arrestation à Hong Kong d’actuels et d’anciens membres du C.A. et du personnel de Stand News, y compris la Canadienne et activiste Denise Ho », précisant qu’Ottawa suivait la situation « de très près ».

L’arrestation de la Montréalaise survient quelques mois à peine après la libération des « deux Michael », qui avaient été détenus en Chine pendant quelque 1000 jours, ce qui avait suscité de vives tensions diplomatiques avec le Canada.

Elle aussi membre de l’Action Free Hong Kong Montréal, Grace Li ne s’attend pas à une peine d’emprisonnement « très longue » pour Denise Ho. Contrairement aux éléments plus violents du mouvement prodémocratie, son militantisme « se résumait essentiellement à des mots », dit-elle.

« Mais même si ce n’était qu’un an, ce serait assez pour inciter les autres à se taire. »

Des « éléments malfaisants », selon l’exécutif hongkongais

La série d’arrestations et la fermeture de Stand News sont le dernier épisode en date de la répression exercée sur la presse locale par les autorités fidèles à Pékin, après la fermeture de l’Apple Daily il y a six mois.

Ce coup de filet survient au moment où la communauté internationale s’inquiète de l’implacable reprise en main à Hong Kong depuis les manifestations pour la démocratie de 2019.

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a dénoncé « une attaque ouverte contre la liberté de la presse déjà en lambeaux à Hong Kong » et Amnistie internationale a accusé « les autorités d’instrumentaliser la législation hongkongaise ».

Le chef de la police de sécurité nationale de Hong Kong, Steve Li, a déclaré que Stand News était accusé d’avoir publié des articles et billets de blogue « séditieux » entre juillet 2020 et novembre 2021.

Mercredi à la mi-journée, la police a été vue sortant des cartons de Stand News. Selon M. Li, des ordinateurs, téléphones, documents et 500 000 dollars hongkongais (82 000 $ CAN) en espèces ont été saisis. En outre, 61 millions de dollars hongkongais (10 millions CAN) d’avoirs appartenant à Stand News ont été gelés, a-t-il ajouté.

Plus de 200 agents ont perquisitionné mercredi au siège du média et aux domiciles de plusieurs de ses employés. Un journaliste de l’AFP a vu le rédacteur en chef de la publication, Patrick Lam, conduit menotté à l’intérieur des bureaux de Stand News.

John Lee, adjoint de la cheffe de l’exécutif hongkongais Carrie Lam, a affirmé que les personnes arrêtées étaient des « éléments malfaisants […] abusant de leurs fonctions […] d’employés de médias ».

Pendant les manifestations de 2019, plusieurs journalistes de Stand News avaient eu maille à partir avec la police. Dans un épisode resté célèbre, une de ses reporters avait filmé en direct l’attaque ultraviolente réalisée par un groupe d’individus masqués contre des manifestants pour la démocratie dans une station de métro, continuant à filmer alors que les assaillants s’en prenaient à elle.

Avec l’Agence France-Presse

Qui est Denise Ho ?

Denise Ho a émigré de Hong Kong à Montréal avec sa famille en 1988, à l’âge de 11 ans. Loi 101 oblige, elle fréquente l’école secondaire Jean-de-la-Mennais à La Prairie, puis le collège Jean-de-Brébeuf, avant un début de bac en design graphique à l’UQAM. À 19 ans, la jeune femme s’inscrit dans un concours de chant amateur à Hong Kong. Contre toute attente, elle remporte le grand prix, ce qui lui vaut une offre d’enregistrement par une maison de disques. Après un bref retour au Québec, la chanteuse retourne définitivement à Hong Kong pour faire carrière dans la pop cantonaise sous le nom de HoCC. Mais elle n’a jamais oublié son passage à Montréal. En 2007, elle déclarait à La Presse : « C’est au Québec que j’ai construit ma personnalité. Si j’avais vécu toute ma vie à Hong Kong, je serais sûrement moins terre à terre… »