(Manille) La journaliste philippine Maria Ressa a déclaré samedi que son prix Nobel de la paix était destiné à « tous les journalistes du monde », tout en promettant de poursuivre son combat pour la liberté de la presse.

« C’est vraiment pour tous les journalistes du monde entier », a déclaré à l’AFP Maria Ressa, critique virulente du président philippin Rodrigo Duterte, lors d’un entretien.

Nous avons vraiment besoin d’aide sur tant de fronts — il est tellement plus difficile et dangereux d’être un journaliste aujourd’hui.

Maria Ressa, journaliste philippine

Âgée de 58 ans, Maria Ressa a cofondé en 2012 la plateforme numérique de journalisme d’investigation Rappler, un média qui a braqué les projecteurs sur les violences liées à la campagne antidrogue lancée par le président philippin Rodrigo Duterte.

Elle a reçu vendredi le prix Nobel de la paix, conjointement avec le journaliste russe Dmitri Mouratov, pour leurs efforts visant à « sauvegarder la liberté d’expression ».

PHOTO ALEXANDER ZEMLIANICHENKO, ASSOCIATED PRESS

Le journaliste russe Dmitri Mouratov (à gauche) a célébré son prix en compagnie de ses collègues du Novaya Gazeta, vendredi à Moscou.

Les groupes de presse philippins et les militants des droits de l’homme ont salué le prix décerné à Maria Ressa comme un « triomphe » dans un pays classé comme l’un des plus dangereux au monde pour les journalistes.

Décrivant son prix « comme une dose d’adrénaline », la journaliste a dit espérer que celui-ci fonctionne comme un bouclier protecteur pour elle et les autres journalistes philippins contre les attaques physiques et les menaces en ligne.

« J’espère que cela permettra aux journalistes de bien faire leur travail, sans crainte », a-t-elle ajouté.

Depuis que Rodrigo Duterte a été élu chef d’État en 2016, Maria Ressa et son média ont enduré des arrestations, des poursuites judiciaires et de nombreuses menaces en ligne.

Le président Duterte a qualifié Rappler de « faux média », et la journaliste a été la cible de messages injurieux en ligne.

Intrépide

Maria Ressa a braqué les projecteurs sur les violences accompagnant la campagne antidrogue initiée par le président philippin Rodrigo Duterte, qui, selon les organisations de défense des droits, a fait des dizaines de milliers de morts, pour la plupart pauvres.

PHOTO LISA MARIE DAVID, ARCHIVES REUTERS

Le président philippin Rodrigo Duterte

Rappler a fait partie des médias nationaux et étrangers qui ont publié des images crues des tueries et remis en question leur base juridique.

D’autres médias ont fait les frais de la politique de Rodrigo Duterte, notamment le Philippine Daily Inquirer et le géant de la radiodiffusion ABS-CBN, qui a perdu sa licence de diffusion en clair l’année dernière.  

Mais Maria Ressa estime que l’indépendance de Rappler lui permet de se défendre. « Nous n’avons pas d’autres entreprises à protéger. Il est donc très facile pour nous de nous défendre », a-t-elle déclaré.

Poursuivie dans sept affaires, la journaliste a taxé celles-ci de « ridicules », se déclarant déterminée à gagner.

Elle est actuellement en liberté sous caution dans l’attente d’un appel, après avoir été condamnée en juin pour diffamation dans une affaire où elle risque jusqu’à six ans de prison.  

PHOTO AARON FAVILA, ASSOCIATED PRESS

Maria Ressa

Deux autres accusations de cyberdiffamation ont été rejetées plus tôt cette année et l’auteur de How to Stand Up to a Dictator (Comment tenir tête à un dictateur, NDLR) espère bien obtenir la permission de se rendre en Norvège pour récupérer son prix Nobel.

« Le plus grand défi a toujours été de vaincre sa peur », déclare-t-elle. « Être intrépide ne signifie pas ne pas avoir peur mais signifie simplement savoir comment gérer sa peur ».  

Je dis parfois que je devrais vraiment remercier le président Duterte, parce que vous ne savez pas vraiment qui vous êtes jusqu’à ce que vous soyez obligé de vous battre pour cela. Je sais qui je suis maintenant.

Maria Ressa, journaliste philippine

Moment critique

La saison électorale philippine, qui a débuté ce mois-ci avec l’inscription des candidats pour plus de 18 000 postes, du président au conseiller municipal, sera « critique » pour le pays, a déclaré Mme Ressa, un « moment existentiel ».  

Les électeurs choisiront en mai le successeur de Rodrigo Duterte, à qui la Constitution interdit de briguer un second mandat de six ans.

Les sondages donnent sa fille Sara et le fils et homonyme de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos parmi les favoris au poste suprême.  

Sara Duterte a pour l’heure démenti toute intention de se présenter.  

« Ca va être une bataille pour les faits », a déclaré Mme Ressa, qui a prévenu que les Philippines étaient proches de « n’avoir plus de démocratie que le nom ».  

Les Philippins sont parmi les plus grands utilisateurs de réseaux sociaux au monde, et le pays est devenu un enjeu crucial de la lutte contre la désinformation.  

Tout au long de la campagne menée contre elle, Maria Ressa, qui a également la citoyenneté américaine, est restée aux Philippines et a continué à s’exprimer contre le gouvernement malgré les menaces.