Deux années se sont écoulées depuis les accusations d’inconduite sexuelle formulées publiquement par Zhou Xiaoxuan contre un célèbre présentateur de la télévision chinoise. La jeune femme s’est rendue à la cour de Pékin la semaine dernière pour une journée d’audience, soutenue par environ 100 manifestants aux pancartes arborant le mot-clé #moiaussi. Un cas rare dans un pays où le harcèlement sexuel n’est apparu qu’en 2005 dans les textes de loi.

« Personne ne peut prédire comment le procès va se terminer, on devrait plutôt prêter attention au processus, au fait que ça a mobilisé les gens », explique Lü Pin au téléphone.

La militante de la cause des femmes était l’éditrice en chef et fondatrice de la plateforme Feminist Voices, créée en 2009, qui a diffusé les dénonciations de nature sexuelle dans une campagne de type #moiaussi. La plateforme a été fermée il y a deux ans par le gouvernement chinois.

PHOTO ANDY WONG, ASSOCIATED PRESS

Zhou Xiaoxuan s’est rendue à la cour de Pékin, la semaine dernière, pour une journée d’audience d’un célèbre présentateur de la télévision chinoise, qu’elle avait accusé d’inconduite sexuelle il y a deux ans.

C’est lors de cette vague de dénonciations en 2018 que Zhou Xiaoxuan, aujourd’hui âgée de 27 ans, a accusé l’animateur Zhu Jun de l’avoir embrassée de force et de s’être livré à des attouchements non consensuels alors qu’elle était stagiaire pour la chaîne d’État, en 2014.

Elle a attendu quatre ans avant d’écrire sa dénonciation, poussée notamment par les accusations contre le producteur américain Harvey Weinstein.

L’animateur en question, qui conteste les accusations, l’a poursuivie pour atteinte à la réputation. Figure connue du public, il a coanimé le gala du Nouvel An pendant 21 ans.

Cas rare

La première journée du procès s’est déroulée à huis clos mercredi de la semaine dernière. On ignore quand la prochaine audience aura lieu. Zhu Jun n’était pas présent.

Personne n’avait trop d’attentes, ç’a été un peu une surprise que la Cour accepte d’entendre le cas.

Yige Dong, professeure adjointe à l’Université de Buffalo, en sociologie et en études des genres

Une Chinoise a gagné l’an dernier la première poursuite en harcèlement sexuel contre son patron dans l’histoire du pays. Selon l’ONG Beijing Yuanzhong Gender Development Centre, entre 2010 et 2017, seulement 34 cas — sur plus de 50 millions de verdicts publics — concernaient du harcèlement sexuel. Parmi ceux-ci, deux seulement avaient été déposées par des victimes contre le harceleur allégué, mais ont été rejetées par manque de preuves, selon la BBC.

Mme Dong, qui vit aux États-Unis depuis une dizaine d’années, rappelle que les cas de harcèlement sexuel sont souvent difficiles à traiter, même en Amérique du Nord.

Nouvel article du Code civil

Un nouvel article entrera en vigueur dans le Code civil chinois le 1er janvier pour obliger les entreprises à adopter des mesures contre le harcèlement sexuel en milieu de travail.

Pour Darius Longarino, chercheur en droit à Yale et fellow sénior du Paul Tsai China Center, la clause manque de mordant, même si c’est un pas dans la bonne direction. « Aux États-Unis, par exemple, l’employeur a une responsabilité et l’employé peut poursuivre son employeur pour avoir manqué à ses obligations sur la mise en place de mesures contre le harcèlement sexuel », illustre-t-il.

Ce n’est pas le cas en Chine. « Si les individus sont principalement blâmés, les employeurs peuvent dire : oh, c’était une pomme pourrie, nous nous en sommes débarrassés. Mais ils ne vont pas changer l’environnement qui permet le harcèlement sexuel, l’environnement qui permet aux pommes pourries d’être des pommes pourries. »

Ciblées par le régime

Malgré les changements apportés ces dernières années, les luttes pour les droits ne se sont pas faites sans heurts dans le régime autoritaire chinois. Les féministes ont été ciblées pour leurs revendications.

« Il y a eu une fenêtre de temps à la fin des années 90 jusqu’au début des années 2010, estime Yige Dong. Il y avait des ONG qui se battaient, notamment contre la violence domestique, des campagnes pour les droits politiques des femmes. Mais cette fenêtre s’est fermée à cause du resserrement politique. »

Lü Pin se trouvait en voyage à New York en 2015 lorsque cinq amies — appelées dans les médias « les cinq féministes » — ont été arrêtées pour leurs activités. Se sachant dans la ligne de mire du gouvernement, elle a décidé de s’installer à Albany, où elle réside toujours.

« Je ne pense pas que le gouvernement pose un regard particulier sur les féministes, explique-t-elle. Je pense qu’ils ne savent pas ce que ça veut dire [rires]. Mais c’est risqué, dangereux [pour le régime autoritaire] en général d’avoir des gens qui se réunissent, qui s’organisent, qui font leurs propres revendications. »

Le cas actuellement devant les autorités pourrait marquer un tournant au pays. « J’espère que Zhou Xiaoxuan sera une inspiration pour tout le monde, pas juste en Chine », souligne Yige Dong.

– Avec LA Times, BBC