La « guerre contre la drogue » menée par la police philippine depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte en 2016 a coûté la vie à plus d’une centaine d’enfants, présentés comme des « dommages collatéraux » par le chef d’État controversé.

Elle en a traumatisé des centaines d’autres, qui ont vu de près un parent abattu lors d’exécutions extrajudiciaires avant d’être eux-mêmes soumis à l’opprobre de leur communauté, selon un nouveau rapport de Human Rights Watch.

« Si rien n’est fait maintenant, toute une génération d’enfants philippins va être affectée » par la violence de la campagne en cours, a prévenu il y a quelques jours l’auteur de la recherche, Carlos Conde.

Beaucoup d’attention internationale a été accordée au cours des dernières années aux efforts de répression menés sous la gouverne du président Duterte, qui a fait de la lutte contre la drogue l’un des piliers de sa politique.

PHOTO ERIK DE CASTRO, ARCHIVES REUTERS

Selon le plus récent décompte officiel, la police nationale a tué près de 6000 personnes décrites comme des trafiquants ou des consommateurs sur une période de quatre ans.

Les organisations de défense des droits de la personne affirment qu’il s’agit généralement d’exécutions déguisées menées par les forces de l’ordre, qui prétendent presque toujours agir en légitime défense.

Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées par ailleurs par des miliciens masqués qui sont soupçonnés de liens avec les forces de l’ordre, portant le nombre total de morts à près de 30 000.

Les enfants écopent

Human Rights Watch fait valoir que nombre d’enfants confrontés directement à la mort violente d’un parent dans ce contexte restent profondément marqués sur le plan psychologique.

C’est le cas, notamment, de Jennifer M., qui réside à Quezon City, au nord de Manille, dans un quartier défavorisé.

Un groupe de policiers a fait irruption durant la nuit dans la résidence familiale en décembre 2016 pour appréhender son père. L’adolescente, qui avait alors 12 ans, s’est accrochée à ses jambes pour éviter que les policiers « ne lui fassent du mal », avant d’être projetée à l’extérieur par un des agents. Des tirs ont résonné presque immédiatement.

Par le cadre de la porte, elle a ensuite vu le cadavre de son père avec un fusil posé près de la main.

« J’étais en colère contre les policiers parce que mon père les suppliait de l’épargner et qu’ils n’ont rien voulu entendre », a relaté à Human Rights Watch la jeune Philippine, qui a abandonné l’école après le drame pour ne pas avoir à subir les quolibets des autres élèves.

Nombre de familles frappées par la campagne antidrogue du gouvernement sont ensuite ostracisées par leur communauté par peur ou par indignation, et ce, que les personnes tuées aient ou non consommé ou trafiqué de la drogue.

La mort violente d’un parent est souvent synonyme par ailleurs de difficultés économiques pour les enfants laissés derrière.

Robert A., qui avait 15 ans lorsque son père a été abattu sous ses yeux en 2016 par quatre hommes masqués circulant à motocyclette à Mandaluyong, s’est retrouvé à la rue avec un frère et une sœur plus jeunes à sa charge.

« Je suis devenu un père pour eux parce que je ne voulais pas les voir souffrir », a relaté le jeune homme, qui a dû abandonner l’école.

Il gagne aujourd’hui, en donnant des cours de hip-hop, un revenu minime lui permettant à peine de nourrir ses proches, qui dorment sur des cartons à l’arrière d’un supermarché.

Contextes nébuleux

Les familles des personnes tuées dans le cadre de la campagne antidrogue obtiennent rarement des explications formelles sur la raison de l’intervention puisque les policiers disposent pratiquement d’une immunité totale.

Seul l’assassinat en 2017 à Manille d’un adolescent de 17 ans a mené à ce jour à une condamnation, grâce notamment aux images captées par des caméras de surveillance. Trois policiers ont écopé de 40 ans de prison pour l’avoir froidement abattu de plusieurs balles à la tête.

Human Rights Watch demande à l’État philippin de mettre un terme à la campagne antidrogue en cours pour faire cesser ces abus et de mettre sur pied un service de soutien pour les familles éprouvées, qui reçoivent, ironiquement, de l’argent pour les frais funéraires, mais guère plus.

PHOTO ELOISA LOPEZ, REUTERS

Photos d'une fillette de 3 ans, Myca Ulpina, tuée en juillet 2019 dans une opération policière contre son père, soupçonné de trafic de drogue

Peu d’entre elles osent officiellement demander de l’aide puisqu’elles estiment que la police et l’État sont responsables de leur situation et craignent de faire les frais de nouvelles attaques, souligne l’organisation.