Apple, qui a essuyé plusieurs critiques par le passé après s'être montré trop conciliante avec les demandes de censure du régime chinois, est de nouveau sur la sellette.

Hong Kong Free Press (HKFP), un média indépendant établi dans l'ex-colonie anglaise, a rapporté hier que le géant de la Silicon Valley avait retiré de la version chinoise de son service Apple Music une chanson interprétée par Jacky Cheung, une vedette locale.

Les paroles de la chanson ont été écrites en 1989, année du soulèvement de la place Tiananmen, et comporte des paroles qui font référence à cet événement tragique sans le désigner expressément.

« Les jeunes sont en colère, le ciel et la terre pleurent... Comment notre pays est-il devenu une mer de sang ? Comment le chemin vers la maison est-il devenu un chemin de non-retour ? », affirme-t-elle.

HKFP a indiqué que les oeuvres de deux autres chanteurs originaires de Hong Kong, Anthony Wong et Denise Ho, avaient également été retirées récemment d'Apple Music.

Ces artistes avaient pris fait et cause en 2014 pour la « Révolution des parapluies ». Des milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour dénoncer la mainmise croissante de Pékin sur l'ancienne colonie et réclamer des réformes démocratiques.

30e anniversaire

Le média indépendant a indiqué que la décision d'Apple visait à répondre aux doléances du régime chinois, qui veut éviter tout dérapage à l'approche du 30e anniversaire du soulèvement de la place Tiananmen, en juin.

Apple n'a pas donné suite hier aux demandes de renseignements de La Presse et n'a pas confirmé officiellement les décisions rapportées par HKFP.

Sophie Richardson, spécialiste de la Chine rattachée à Human Rights Watch, a déclaré sur Twitter que la décision rapportée était « spectaculairement lâche, même en considérant » les standards du PDG de l'entreprise, Tim Cook.

Dans un récent rapport sur les pratiques de contrôle médiatique de Pékin, Reporters sans frontières (RSF) souligne qu'Apple a été contrainte « à de nombreuses concessions » par le passé pour se conformer à la « loi chinoise sur la sécurité d'internet ».

La firme a notamment supprimé de sa boutique de vente en ligne plusieurs applications VPN, souvent utilisées en Chine pour contourner la censure. Elle a aussi accepté de bloquer l'accès au site du New York Times après la publication d'enquêtes embarrassantes pour le régime.

Le géant de la Silicon Valley, note RSF, est « très dépendant » de la Chine parce qu'un nombre important de ses sous-traitants sont établis là-bas. Près du cinquième des revenus de l'entreprise viennent de ce marché.

Chip Pitts, spécialiste américain de l'éthique des entreprises, estime que les paroles de la chanson de Jacky Cheung ne justifient pas de censure.

« Ces paroles sont connues depuis des décennies, sont génériques et n'incitent pas à la violence », relève M. Pitts, qui n'exclut pas la possibilité que la firme hébergeant les services d'Apple soit à l'origine des retraits soulignés par HKFP.

Si elle en est responsable, l'entreprise devrait rapidement souligner que la décision est une erreur et faire marche arrière, dit-il.

Un tel recul permettrait à la haute direction de faire valoir qu'elle souhaite réellement lutter contre la censure et protéger la liberté d'expression.

Dans le cas contraire, le contrecoup pourrait être très dommageable, prévient M. Pitts, qui évoque les difficultés rencontrées récemment par Google après la divulgation des efforts de l'entreprise pour adapter localement son moteur de recherche à la censure chinoise.

« Apple ferait bien de se convaincre que ses utilisateurs en Chine et ailleurs risquent de réagir fortement à une telle décision de censure », conclut-il.

PHOTO TIRÉE DE L'INTERNET

L'interprète Jacky Cheung