(Buenos Aires) Une tronçonneuse brandie en meetings pour débiter « l’État ennemi », la dépense publique : l’image choc accolée à Javier Milei, investi dimanche président argentin, illustre la thérapie que l’ultralibéral promet à la troisième économie d’Amérique latine.

En à peine deux ans, depuis son élection comme député en 2021, cet ancien polémiste chéri des plateaux TV pour ses sorties provocantes, impulsives, voire grossières, a renversé la politique argentine, balayant les blocs péroniste (centre gauche) et de droite, qui alternaient au pouvoir depuis 20 ans.

« Viva la libertad, carajo ! » (Vive la liberté, bordel ! « ), est le mantra de celui qui a su capter la colère des Argentins, incrédules devant leur pays aux riches ressources, mais englué dans une inflation à 143 % sur un an, un endettement structurel, et une pauvreté touchant 40 % de la population.

A coup de dérégulation, privatisations, Milei, 53 ans, entend refaire de l’Argentine « une puissance mondiale », comme lorsqu’elle était « terre promise » d’émigration au début du 20e siècle. Un thème de « grandeur retrouvée » qui évoque Donald Trump, pour lequel il exprima son admiration, et qui a promis de venir le voir.

Résolu à en finir avec « l’aberration appelée justice sociale, synonyme de déficit budgétaire », Milei veut dollariser l’économie et éliminer la Banque centrale lorsque le billet vert aura remplacé le peso, devise nationale qu’il traita « d’excrément ».

 « Réveiller les lions » 

 « Anarchocapitaliste » comme il se décrit, libertarien, avec des postures d’extrême droite et une touche libertaire, Milei a trouvé écho, avec son discours de méritocratie et de dégagisme, auprès d’un public en majorité jeune et qui transcende les strates sociales.

 « Je ne suis pas là pour guider des agneaux, mais pour réveiller des lions ! », est un autre slogan fétiche du « lion » Milei, emblème qu’il a cultivé, évoquant sa chevelure-crinière. Autant qu’un look atypique, parfois en blouson de cuir, pour ce fan des Stones qui chanta, jeune, dans un groupe de rock, et joua au football à un niveau décent.

 « Rien que s’il réalisait 50 % de ce qu’il a dit, ça changerait beaucoup notre avenir », disait cette semaine à l’AFP Franco Propato, vendeur de cycles de 23 ans, prêt à laisser du temps à Milei parce que tout « ne pourra pas être réparé du jour au lendemain ».

Mais Milei effraie, aussi, avec des positions polémiques comme la dérégulation de la vente d’armes, son opposition à l’avortement légalisé en 2021 en Argentine. Ou sa conviction que le changement climatique n’est qu’un « cycle », pas « une responsabilité de l’homme ».

Conscient de choquer, il a baissé le ton depuis son élection, évitant les thèmes sensibles, tendant la main à des dirigeants comme le Brésilien Lula, ou le pape François, qu’il avait jadis insultés. Ou pactisant pragmatiquement pour former son gouvernement avec des figures de la présidence Macri (2015-2019), la « caste politique » qu’il stigmatisait il y a peu.

Que fera réellement un président Milei ? Des compromis, assurément, dans un Parlement où son jeune parti, La Libertad Avanza, n’est que 3e force (38 députés sur 257). Mais inévitablement aussi des ajustements budgétaires douloureux, les premiers dans les prochains jours.

 « Risque de confrontation » 

Milei « apporte avec lui un ingrédient de confrontation politico-sociale », s’inquiète à l’AFP Gabriel Vammaro, politologue à l’Université de San Martin.

Le Milei privé reste méconnu, intrigue : peu mondain, il a un proche cercle restreint, en particulier une relation fusionnelle avec sa sœur Karina Milei, 50 ans, omniprésente à ses côtés, mi-conseillère, mi-secrétaire : « le chef », ainsi qu’il la décrit.

Sa famille au quotidien se résumait jusqu’à récemment à cinq énormes mastiffs anglais aux noms d’économistes – ses « enfants », dit-il – avec lesquels il vivait dans un « country », un quartier privé fermé du nord de Buenos Aires. Depuis plusieurs mois de campagne toutefois, ils sont en garderie.  

Longtemps célibataire, il s’est depuis peu affiché avec une humoriste de 42 ans, Fatima Florez.

Javier Gerado Milei a grandi dans la banlieue de Buenos Aires dans une famille de classe moyenne (père chauffeur de bus puis chef d’une PME de transport, mère au foyer), avec laquelle il avoua une relation « complexe », marquée notamment par la violence paternelle. Pendant des années, il coupa les ponts.

Diplômé d’économie, il a alterné conseil dans le secteur privé, et enseignement, entre conférences, livres et chroniques. Un directeur de l’Université de Belgrano, Viktor Beker, se souvient « d’un excellent étudiant, très intelligent et appliqué, avec une facilité pour les maths », et un « travail acharné ».

Plus d’une fois, ses rivaux ont raillé son « agressivité », tenté de le dépeindre comme « instable », voire « fou ». Lui en a ri, poursuivant son chemin politique, mais aussi spirituel : celui qui considère que Dieu « est libertaire », comme lui, s’est rapproché depuis deux ans du judaïsme, étudie la Torah en autodidacte, attiré par la « dialectique » talmudique pour analyser les problèmes.