Le régime du président nicaraguayen Daniel Ortega, qui avait réprimé dans le sang un important mouvement de contestation en 2018, multiple depuis les stratagèmes pour étouffer toute opposition dans le pays, dénonce Amnistie internationale dans un nouveau rapport.

Le document détaille « le continuum de répression » auquel la population « osant dénoncer » la dérive autoritaire de l’ex-guérillero a été soumise depuis ces affrontements, relève Erika Guevara Rosas, qui est responsable de la section des Amériques de l’organisation.

La police, aidée de groupes paramilitaires encagoulés, avait tué plus de 300 personnes et en avait blessé plus de 2000 lors de la vague de protestations tout en procédant à des centaines de détentions arbitraires, usant d’une force excessive qui est largement demeurée impunie.

Justice contrôlée

Le système judiciaire a été « coopté » dans la foulée par le régime, qui a introduit plusieurs lois permettant de faire incarcérer des dissidents sans raison valable.

Cette « militarisation » des tribunaux, note le rapport, a mené depuis cinq ans à l’emprisonnement de centaines de Nicaraguayens « qui cherchaient simplement à exercer leur droit de manifester, à dénoncer des exactions commises par le régime et à défendre et promouvoir les droits de la personne au Nicaragua ».

Le système judiciaire, note Amnistie internationale, répond à la lettre aux volontés du gouvernement et des forces de sécurité, allant parfois jusqu’à émettre a posteriori des mandats pour des arrestations ou des fouilles ayant déjà eu lieu.

Les prisonniers politiques sont généralement privés de tout contact avec leur avocat jusqu’aux minutes précédant le procès et n’ont aucune façon de préparer une stratégie de défense alors que les preuves présentées par le procureur sont acceptées comme vraies « même lorsqu’il y a des contradictions ou des éléments improbables ».

Les accusés se voient souvent reprocher officiellement d’avoir « conspiré pour miner l’intégrité nationale », une formulation suffisamment vague selon Amnistie internationale pour englober des actes ne représentant rien de plus que l’exercice de libertés fondamentales.

PHOTO CESAR PEREZ, PRÉSIDENCE NICARAGUAYENNE, FOURNIE PAR REUTERS

Le président Daniel Ortega

« Fausses nouvelles »

Les autorités évoquent aussi régulièrement la « propagation de fausses nouvelles » comme crime allégué pour sanctionner toute personne s’avisant de critiquer le régime en ligne, parfois en relevant des motifs bénins.

Nidia Barbosa, une femme de 66 ans qui était membre d’une coalition d’organisations civiles opposées au gouvernement, s’est fait notamment reprocher d’avoir publié une prière demandant de meilleures conditions sociales au Nicaragua.

Elle a écopé de 11 ans de détention après son arrestation à l’automne 2021 et n’a pu recouvrer sa liberté qu’en février de cette année lorsque le régime a expulsé vers les États-Unis plus de 200 prisonniers politiques tout en révoquant leur citoyenneté nicaraguayenne.

Cette révocation a été faite à travers des procédures illégales n’offrant aucune possibilité pour les personnes ciblées de se défendre, relève Amnistie internationale, qui s’alarme des conditions de détention dans le pays.

Des dissidents, souligne le rapport, sont parfois placés avec une vingtaine d’autres personnes dans des cellules conçues pour cinq ou six et privés de nourriture appropriée et d’eau de manière à « exercer une pression accrue » sur eux.

Violeta Granera, sociologue et femme politique critique du régime, a été condamnée en 2022 à huit ans de prison et placée en détention malgré son âge avancé et d’importants problèmes de santé qui n’ont pas été « pris en charge adéquatement » par les autorités carcérales.

Les membres de la famille de la détenue ne pouvaient la visiter que rarement, souvent à des mois d’intervalle, et devaient lutter pour pouvoir lui fournir les médicaments dont elle a besoin. Mme Granera a elle aussi finalement été expulsée du pays vers les États-Unis en février.

Voie de l’exil

En plus de s’attaquer directement à ses détracteurs par des procès sans valeur, le régime de Daniel Ortega a multiplié les procédures pour rendre illégales de nombreuses organisations de la société civile, actives sur les plans médiatique, culturel ou éducatif.

Non moins de 3000 d’entre elles ont été sanctionnées sur ordre de l’Assemblée nationale, qui est contrôlée, là encore, par le régime, relève Amnistie internationale.

Faute de pouvoir se défendre face au gouvernement, qui opère pratiquement sans aucun contre-pouvoir, nombre de journalistes et de militants ont choisi la voie de l’exil.

Au plus fort de la répression en 2018, les Nations unies avaient recensé en quelques mois plus de 23 000 demandes d’asile au Costa Rica, un pays voisin. À la fin 2022, ce total était estimé à près de 200 000.

Le virage répressif de Managua a aussi affecté nombre d’organisations internationales de défense des droits de la personne, qui sont aujourd’hui forcées de surveiller l’évolution de la situation à distance faute d’être autorisées à rentrer dans le pays.

Mme Guevara Rosas note qu’il est crucial, dans le contexte, que la communauté internationale agisse de « manière coordonnée et déterminée » pour continuer de mettre en lumière les exactions du régime et soutenir les victimes « qu’il a faites et continue de faire ».