(San Vicente del Caguán) La dissidence de l’ancienne guérilla des FARC en Colombie s’est dite « prête » à négocier la paix avec le gouvernement, mais nombre d’incertitudes planent sur le processus de « paix totale » voulue par le président Gustavo Petro.

Dimanche, au cours d’une grand-messe dans les zones de la jungle amazonienne sous son contrôle, dans le sud du pays, « l’état-major central-FARC » (EMC-FARC), avec à sa tête son chef emblématique « Ivan Mordisco » – dont les apparitions publiques sont rarissimes – s’est dite « prête » à négocier la paix, mais « avec la justice sociale ».

La grande majorité des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) — soit plus de 13 000 hommes et femmes — ont déposé les armes après l’accord de paix de 2016. Une petite minorité ne l’a jamais signé, c’est l’embryon de ce qui est aujourd’hui l’EMC-FARC, rejoint depuis par de jeunes recrues.

Dès dimanche soir, la presse colombienne affichait les images tout en couleurs de la réunion aux références marxistes et à la dialectique « révolutionnaire », reprenant tous les attributs des FARC historiques, dont la dissidence affirme être l’unique dépositaire.

« Rock stars »

Comme abasourdie par la démonstration de force, la classe politique restait cependant silencieuse dans l’ensemble, à commencer par le premier président de gauche du pays, en voyage aux États-Unis, mais habituellement très actif sur les réseaux sociaux.

« Rock stars », a tout de même fustigé sur Twitter la sénatrice de droite Maria Fernanda Cabal. « Le mal nous gouverne et nous devons le vaincre », a-t-elle lancé, voyant dans les futures négociations « le plus grand piège de l’histoire de la Colombie ! »

« Nous rejetons l’utilisation de nos symboles par l’état-major central autoproclamé », a condamné de son côté le parti Comunes, héritier des FARC, et qui s’alarme pour « la sécurité » des signataires de l’accord de 2016, dont plus de 360 ont été assassinés, la plupart par la dissidence selon les autorités.

« Quelles seront les règles qui régiront ce nouvel accord de paix et quel sera le degré de compromis ? […] La Colombie a une longue histoire de processus de paix » ratés et « quelques-uns » réussis, souligne auprès de l’AFP l’experte Patricia Muñoz de l’Université Javeriana.

Le groupe armé a d’ores et déjà exigé que les « communautés », en clair les populations paysannes sous son contrôle, participent aux négociations.

Son fief se situe dans les « Llanos », ces piémonts préamazoniens au pied oriental de la cordillère des Andes, un territoire peu peuplé, mais grand comme la Grande-Bretagne, qui fut longtemps l’une des principales zones de production de coca.  

« Nébuleuse de bandits »

L’EMC-FARC a fédéré ces derniers mois plusieurs autres petites dissidences qui avaient surgi ailleurs dans le pays, étendant ses tentacules dans le Cauca (ouest), le Catatumbo (est) ou encore le Putumayo (sud).

Pour l’enquêteur sur le conflit Jorge Mantilla, « le point de départ du processus » est la suspension de l’arrestation de 19 commandants de l’EMC « pour provoquer une réunion des commandants qui mènerait à une coordination qui n’existe pas aujourd’hui », selon un article du site Razon Publica.

Une autre faction de la dissidence, la « Segunda Marquetalia », signataire de l’accord de 2016, mais retournée au maquis depuis – et qui s’affronte régulièrement avec l’EMC-FARC –, semble elle aussi disposée à la négociation.

Le président Petro, lui-même un ancien guérillero, négocie également avec les rebelles de l’ELN guévariste, et cherche une solution pacifique au conflit avec le Clan del Golfo, plus puissant cartel du pays.

« L’inconvénient, c’est le risque de redonner une légitimité politique, une visibilité à ceux qui n’apparaissaient plus jusqu’à présent que comme une nébuleuse de bandits de grand chemin », estime une source proche des négociations de paix.

Sur les discussions politiques, « le problème sera de continuer de mettre en œuvre l’accord de 2016, tout en négociant avec des gens considérant ce même accord comme mauvais et qui vont demander beaucoup plus », ajoute-t-elle.

Autre défi : si la négociation avance avec la dissidence, d’autres groupes armés pourraient vouloir en profiter pour prendre le contrôle de leurs territoires.