(Washington) Plus de 200 prisonniers politiques ont été libérés jeudi au Nicaragua et expulsés vers les États-Unis par le gouvernement du président Daniel Ortega, un geste inattendu qui pourrait relancer le dialogue avec Washington.

La remise en liberté des 222 détenus, dont deux Françaises et un Américain, est intervenue après des mois de discussions menées en toute discrétion et n’a été rendue publique qu’une fois le groupe en route vers les États-Unis.

Ils sont arrivés en fin de matinée à bord d’un vol charter à Washington, où les autorités américaines ont promis de leur délivrer des permis de séjour d’une durée initiale de deux ans.

« Nous sommes au pays de la liberté », s’est réjoui l’opposant Juan Sebastian Chamorro, qui a passé « 20 mois dans une prison de sécurité maximum, sans aucun contact avec l’extérieur ». « On nous a mis dans des bus sans nous dire où on allait […] et on a réalisé une fois en vol », a-t-il expliqué à l’AFP.

Ariana Gutierrez Pinto, venue accueillir sa mère Evelyn, une militante des droits humains incarcérée pendant 15 mois, était partagée : « Leur libération me semble juste car ils ne vivront pas dans la misère, mais injuste parce qu’ils ont été expulsés de leur propre pays… »

Déchéance de nationalité

Les États-Unis ont salué une décision « positive », tout en insistant sur le fait qu’elle avait été prise « de manière unilatérale » par le régime Ortega, sans aucune promesse d’assouplissement des sanctions qui pèsent contre lui.

C’est « une étape constructive » qui « ouvre la porte à un dialogue » entre Washington et Managua, a toutefois déclaré le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken.

Un haut magistrat a confirmé « l’expulsion » des anciens prisonniers qualifiés de « traîtres à la Nation ». « Leurs droits civiques ont été suspendus à vie », a précisé le juge Octavio Rothschuh, de la Cour d’appel de Managua.

Ils vont également être déchus de leur nationalité nicaraguayenne en vertu d’une loi adoptée en première lecture jeudi par le Parlement, et dont l’approbation finale ne fait aucun doute.

« Je serai nicaraguayen jusqu’à ma mort », a rétorqué le militant Felix Maradiaga, qui fait partie des prisonniers libérés. Ces derniers chantaient l’hymne du Nicaragua dans l’avion, selon lui.

Deux Françaises

Deux femmes ayant la double nationalité nicaraguayenne et française se trouvent parmi les personnes libérées : Jeannine Horvilleur Cuadra, 63 ans, et Ana Alvarez Horvilleur, 43 ans.

Arrêtées le 13 septembre avec le mari de cette dernière, elles avaient été condamnées récemment à huit ans de prison pour « complot et diffusion de fausses nouvelles ».

Paris a salué leur libération et réitéré son appel « à un retour de l’État de droit au Nicaragua ».

Parmi les personnes libérées se trouve également l’ancienne guérillera sandiniste Dora Maria Tellez, mais pas l’évêque catholique Rolando Alvarez, a dit à l’AFP Javier Alvarez, l’époux de Jeannine Horvilleur Cuadra qui vit en exil au Costa Rica.

Le prélat a refusé d’embarquer à bord de l’avion qui conduisait les opposants aux États-Unis, a affirmé jeudi le président du Nicaragua, Daniel Ortega.

« M. Alvarez n’a pas voulu respecter ce que lui dictait la loi », a ajouté le président, précisant que l’évêque avait été de nouveau incarcéré.

Ce détracteur d’Ortega avait été arrêté en août avec six autres religieux. Le pape François avait exprimé sa « préoccupation » après leur interpellation.

« Un grand jour »

Fervent marxiste dans sa jeunesse, Daniel Ortega avait mené l’insurrection qui a fait chuter le dictateur Anastasio Somoza et l’avait remplacé à la tête du pays en 1979.

Défait aux élections de 1990, il était revenu au pouvoir en 2007, mais ses opposants l’accusent d’avoir ensuite versé dans l’autoritarisme et le népotisme.

En 2018, des manifestations réclamant son départ avaient été sévèrement réprimées, le pouvoir considérant ces protestations comme une tentative de coup d’État soutenue par les États-Unis. Plus de 350 personnes avaient été tuées et plus de 200 emprisonnées.

Daniel Ortega a été réélu en novembre 2021 pour un quatrième mandat consécutif, à l’issue d’un scrutin duquel étaient absents ses rivaux, arrêtés ou contraints à l’exil.

Depuis quatre ans, l’Union européenne et les États-Unis ont imposé de nombreuses sanctions au Nicaragua et à des personnalités du régime.

L’écrivain nicaraguayen Sergio Ramirez, qui fut vice-président de Daniel Ortega dans les années 1980 et vit en exil en Espagne, s’est félicité de la libération des prisonniers. C’est « un grand jour pour la liberté au Nicaragua », a-t-il tweeté.

Le Centre national des droits de l’Homme s’est dit soulagé qu’ils « ne souffrent plus des conditions inhumaines » de détention, mais a regretté, dans un communiqué, leur expulsion « arbitraire et contraire au droit international ».