(Rio de Janeiro) Un porte-avions désaffecté, rempli d’une quantité indéterminée d’amiante, est remorqué en rond au large des côtes brésiliennes après s’être vu refuser l’autorisation d’accoster en Turquie pour y être recyclé. Le problème ? Aucun gouvernement ne veut s’en occuper.

La marine brésilienne a donc l’intention de couler le navire, le São Paulo, un porte-avions de classe Clemenceau acheté en 2000 à la France 12 millions $ US, sans compter les avions et les hélicoptères. Les écologistes affirment qu’une telle opération causerait des dommages irréparables à l’environnement et pourrait constituer une violation du droit international.

Il serait « complètement inexplicable et irrationnel » de couler le navire, a déclaré Jim Puckett, directeur du Basel Action Network, un groupe environnemental à but non lucratif établi à Seattle qui se concentre sur le commerce mondial des substances toxiques.

L’histoire de la disparition du São Paulo a commencé lorsqu’une société turque appelée Sok Denizcilik a acheté le navire un peu plus de 1,8 million $ US lors d’une vente aux enchères en 2021. Son objectif était de recycler le navire, de se débarrasser de tous les déchets de manière responsable tout en faisant un profit en récupérant et en vendant les tonnes de métaux non toxiques qu’il contenait.

Mais les plans de la société turque ont suscité des protestations de la part de groupes environnementaux qui ont déclaré que le navire transportait beaucoup plus de matériaux dangereux que ne l’avait révélé la société.

Le porte-avions dans la pièce

Le navire de 873 pieds, qui a servi dans la marine française sous le nom de Foch de 1963 jusqu’à sa vente en 2000, n’était plus en service depuis une dizaine d’années. Certains de ses compartiments ont accumulé tellement de gaz dangereux qu’il est désormais risqué d’y pénétrer, ont déclaré les inspecteurs.

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Remorquage du porte-avions français Foch, avant qu’il ne soit rebaptisé São Paulo, photographié en 1994

Il y a des décennies, lorsque le navire a été construit, on comprenait moins bien et on se préoccupait probablement moins des graves problèmes de santé que certains matériaux de construction pouvaient causer. L’amiante, un produit ignifuge couramment utilisé à l’époque, s’est révélé par la suite un puissant agent cancérigène.

Le navire principal de la classe, le Clemenceau, a été démantelé et recyclé dans les années 2000 après une lutte tout aussi âpre avec les écologistes.

Les autorités françaises ont fait état de la présence de 45 tonnes d’amiante à bord du Clemenceau, mais les groupes environnementaux ont déclaré avoir la preuve qu’il en contenait bien plus. Le navire était en route vers un chantier de démolition en Inde lorsqu’un tribunal français a ordonné son retour dans les eaux territoriales de la France. Le Clemenceau a finalement été démantelé en Grande-Bretagne.

Les problèmes avec le São Paulo ont débuté lorsque les écologistes ont commencé à se méfier parce que les inspecteurs avaient signalé la présence de moins de 10 tonnes d’amiante à bord.

La marine a déclaré que beaucoup d’amiante avait été retiré au fil des ans, mais les écologistes ont demandé des preuves. Aucune n’a été présentée.

En juillet, les militants ont donc contacté Grieg Green, une société norvégienne qui avait dressé l’inventaire des matières dangereuses du navire, connu sous le nom d’IHM. La réponse a confirmé certains de leurs soupçons.

« Pendant l’enquête à bord, divers endroits ont été scellés et étaient inaccessibles pour l’enquêteur », a répondu Andreas Justad, un chef de projet. Il a précisé que la quantité d’amiante signalée n’était qu’une estimation. « Il pourrait y avoir un écart important entre la quantité réelle d’amiante présente à bord et les conclusions de l’IHM », a-t-il ajouté.

En quelques semaines, plusieurs groupes environnementaux ont fait pression sur le gouvernement turc pour qu’il rejette le navire. « Nous avons soulevé l’enfer », a déclaré Puckett, militant.

Tournée d’adieu

Le 4 août, le São Paulo déclassé a commencé à traverser l’Atlantique sous remorquage, en direction du chantier naval de démolition en Turquie.

Pendant ce temps, la campagne environnementale s’intensifiait. Quelques jours après le départ du navire, les autorités turques ont demandé à leurs homologues brésiliens un nouvel inventaire des substances dangereuses. Insatisfaits de la réponse, les fonctionnaires turcs ont annulé l’autorisation d’importation.

Le navire et son remorqueur, qui avaient alors atteint Gibraltar, ont dû faire demi-tour. Les groupes de défense de l’environnement considèrent cette décision comme une énorme victoire.

Mais le voyage du São Paulo est loin d’être terminé. Alors qu’il approchait du Brésil en octobre, la marine lui a ordonné de rester au large de la côte Nord-Est au lieu de retourner à Rio de Janeiro, son port de départ.

À ce moment-là, après deux traversées transatlantiques, le navire avait besoin d’accoster pour des travaux de maintenance. Mais la campagne environnementale a apparemment trop bien fonctionné.

Des responsables locaux effrayés au Brésil ont fait pression sur les ports pour qu’ils n’acceptent pas le navire, et celui-ci a été refusé à plusieurs reprises. La marine n’a jamais proposé ses propres bases, pour des raisons que les responsables n’ont jamais expliquées. Le navire et le remorqueur ont donc commencé à tourner en rond.

Les mois passent et, alors que des dommages mineurs commencent à apparaître sur la coque, MSK Maritime Services & Trading, partenaire de Sok Denizcilik dans le projet de recyclage, se désespère. L’entreprise avait besoin d’un port pour réparer les dégâts, et le remorqueur consommait 20 tonnes de carburant par jour. En janvier, MSK a déclaré qu’il avait perdu 5 millions de dollars dans cette aventure.

Les groupes environnementaux ont déclaré qu’ils étaient déconcertés par le fait que la marine brésilienne ne voulait pas reprendre le navire et refusait de dire pourquoi elle ne le faisait pas.

En vertu de la convention de Bâle, les pays sont tenus de réimporter les déchets toxiques qu’ils ne parviennent pas à exporter. Les militants affirment que le Brésil viole la convention en ne permettant pas au navire d’accoster. Les autorités nient cette affirmation, au motif que le navire se trouve dans les eaux brésiliennes.

La marine brésilienne n’a pas répondu aux demandes répétées de commentaires pour cet article. Dans une déclaration préparée, elle a indiqué que, bien qu’elle ne soit plus propriétaire du navire, elle a suivi l’affaire avec attention et que les propriétaires du navire n’avaient jusqu’à présent pas rempli les conditions requises pour obtenir l’autorisation d’accoster.

Touché coulé

Lors d’une réunion en décembre, les responsables de la marine ont déclaré qu’ils craignaient que le navire ne coule près de la côte et ne constitue un danger pour la navigation. Ils ont donc ordonné qu’il soit placé à environ 200 miles au large.

Lors de la même réunion, les responsables ont déclaré qu’ils considéraient le naufrage du navire comme l’une de leurs rares options.

Un rapport publié en décembre indiquait que le navire était, à l’époque, suffisamment en état de navigabilité pour être remorqué vers un port. Mais un rapport de la marine datant d’il y a deux semaines indiquait que même si le navire pouvait tenir un mois de plus avant de couler, il était trop instable pour être amené dans les eaux côtières.

Mercredi soir, les autorités ont donc annoncé leur intention de couler le navire. Un communiqué de la marine a invoqué « la détérioration des conditions de flottabilité de la coque et l’inévitabilité d’un naufrage spontané et incontrôlé ».

Dans une déclaration en réponse aux questions du New York Times, l’IBAMA, l’agence brésilienne pour l’environnement, a déclaré que les produits chimiques du São Paulo pourraient nuire à la couche d’ozone, entraîner la mort de la faune marine et détériorer les écosystèmes dans des points chauds importants de la biodiversité marine.

Cet article a d’abord été publié par le New York Times.

Lisez l’article original (en anglais)