(Bogota) L’opposant de gauche Gustavo Petro est sorti grand vainqueur des élections de ce dimanche en Colombie, obtenant des résultats historiques aux législatives face à la droite au pouvoir, tout en remportant triomphalement l’investiture de son camp à la présidentielle du 29 mai prochain, où sa victoire apparait désormais à portée de main.

Au terme d’une journée de vote dans le calme et « la transparence » selon l’autorité électorale, la coalition de gauche du « Pacte historique » obtient 17 sièges au Sénat sur 102, devançant toutes les autres formations traditionnelles, selon des résultats officiels partiels publiés en soirée.

À la Chambre basse, la coalition de gauche rafle 25 sièges de députés sur 165, en seconde position derrière le Parti libéral (32), mais au coude-à-coude avec les conservateurs et avec le plus grand nombre de votes, selon ces mêmes résultats.

« Aux portes » du pouvoir

Le « Centre démocratique », parti de droite du président sortant Ivan Duque, qui avait obtenu lors des dernières législatives de 2018 le plus grand nombre de voix au Sénat, subit un lourd revers, y arrivant cette fois en cinquième position, et à la quatrième place à la Chambre des députés.

« Le Pacte historique a obtenu les meilleurs résultats du progressisme dans l’histoire de la république de Colombie », s’est félicité dans la soirée son chef Gustavo Petro. « Nous sommes sur le point de remporter la présidence dès le premier tour », a-t-il assuré, sous les acclamations de ses partisans.

Près de 39 millions d’électeurs étaient appelés à renouveler pour quatre ans les 296 membres du Sénat et de la Chambre basse, un parlement sortant contrôlé par une droite au pouvoir à bout de souffle, traditionnel fief des baronnies régionales à l’image considérablement ternie par des affaires de corruption.

Ils avaient aussi la possibilité de prendre part aux primaires des principaux partis pour choisir les candidats à la présidentielle du 29 mai, à laquelle le président sortant, le conservateur Ivan Duque, ne peut se représenter.

Il s’agissait de désigner, au choix, le candidat d’une des trois coalitions de centre droit, de centre gauche, ou de gauche.

Ces primaires, parfois qualifiées de premier tour avant l’heure, ont en fait monopolisé l’essentiel des débats de la campagne. Et comme attendu, Gustavo Petro, en tête de tous les sondages ces derniers mois, s’est imposé avec environ 80,50 % des voix à la tête de son « Pacte historique ».

Il a devancé l’afro-colombienne Francia Marquez, qui a fait cependant un résultat remarqué (15 %) et a été, avec son discours féministe, environnementaliste et anti-raciste, la révélation de ces élections, de l’avis de beaucoup de commentateurs.

Ex-guérillero reconverti au « progressisme » social-démocrate, M. Petro affrontera le 29 mai l’ancien maire de Medellin Federico Gutierrez, qui représentera la coalition de centre droit (« Equipe pour Colombie »), et l’ex-gouverneur du puissant département d’Antoquia Sergio Fajardo pour la coalition de centre gauche « Centre espérance ».

D’autres candidats sont déjà en course, dont Oscar Zuluaga pour le « Centre démocratique », qui ne décolle pas dans les intentions de vote, l’indépendant Rodolfo Hernandez, et l’ex-otage Franco-colombienne Ingrid Betancourt. Tous trois se sont abstenus de se présenter aux primaires et concourent sous les couleurs de leur propre parti.

« Soif énorme de changement »

« À partir de demain commence le premier tour de la présidentielle », a prévenu M. Petro, promettant « de défendre un programme en faveur de la vie » et « pour changer la Colombie ». Dans un pays d’Amérique latine historiquement gouverné par la droite, son accession au pouvoir serait un séisme politique.

De son côté, M. Gutierrez, l’un des plus farouches opposants de M. Petro, a appelé à « la protection de notre démocratie et à la protection de nos libertés » contre « les populismes », tandis que M. Fajardo a repris le slogan de la lutte « contre la corruption », un thème brandi par presque tous les candidats.

Autre indice que la gauche a le vent en poupe, presque 50 % des votants aux primaires ont choisi de s’exprimer pour le « Pacte historique », au détriment des deux autres coalitions.

« Il est évident qu’il y a une soif énorme de changement » aujourd’hui en Colombie, a analysé pour l’AFP Jorge Restrepo, professeur à l’Université de la Javeriana.

« Si la gauche est gagnante », les centristes ne sont pas parvenus à rompre l’habituelle polarisation du pays, et surtout « la droite est la grande perdante, le Centre démocratique payant les conséquences de l’impopularité du gouvernement sortant », selon M. Restrepo.

Alors que la Colombie est sortie à genoux économiquement de la pandémie et blessée par la répression des manifestations massives du printemps 2021 contre le pouvoir, les analystes prévoyaient largement ce vote sanction.

Si la hausse des violences des groupes armés dans les provinces inquiète fortement, la baisse du pouvoir d’achat ou l’insécurité urbaine ont semblé plus préoccuper pendant la campagne, les Colombiens disant invariablement leur lassitude des partis traditionnels.