(Bogotá) Ingrid Betancourt a créé la surprise au début de l’année en annonçant son intention de briguer la présidence de la Colombie, 20 ans après avoir été kidnappée – et séquestrée plus de six ans – par les FARC. L’ex-otage veut reprendre sa campagne contre la corruption. Avec la même détermination. Mais le pays a changé. Elle aura fort à faire pour remporter son pari électoral.

Les conférences de presse d’Ingrid Betancourt se succèdent depuis quelques semaines, tout comme les interviews et les voyages en province : c’est un véritable marathon médiatique. Le 9 février, à Bogotá, au siège du Verde Oxígeno, parti qu’elle représente, Ingrid Betancourt présente son plan anticorruption, fer de lance de sa campagne.

PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

Ingrid Betancourt

Nous savons tous que la Colombie est un pays riche. Mais les Colombiens, nous sommes pauvres. Notre économie est comme un baril sans fond. Et une partie substantielle de ce que nous gagnons en travaillant va directement dans les poches des corrompus. Je veux combler ce trou.

Ingrid Betancourt

Lutte anticorruption

Le ton est ferme, le regard direct vers les journalistes et les caméras installées devant elle. La détermination de la femme politique est intacte. D’ailleurs, elle l’a prouvé en abandonnant la coalition Centro Esperanza, à laquelle elle s’était jointe en janvier. « Je ne vais pas laisser les loups entrer là où sont les moutons. Je vais donc continuer de manière indépendante. » Elle fait référence aux soutiens politiques reçus par Alejandro Gaviria, l’un des candidats à la primaire de la Coalition Espérance (coalition de centre-gauche), dont Ingrid Betancourt faisait partie. Selon elle, ils font partie d’une « machinerie de la corruption ».

Son plan anticorruption propose un tribunal spécial voué à la lutte contre « ce fléau », la création d’un fonds d’indemnisations financières aux victimes et la mise en place d’un groupe interdisciplinaire ad hoc, qui serait chargé d’identifier, d’évaluer, de surveiller les personnes qui commettent des infractions avec les ressources de l’État.

Ex-otage des FARC

Ce plan reflète ce que la femme politique proposait en 2002 lors de sa première candidature à l’élection présidentielle colombienne. Celle durant laquelle elle a été enlevée avant d’être détenue pendant plus de six ans dans la jungle par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Elle était alors en campagne dans l’ancienne zone dite de « démilitarisation », là où se sont déroulés les pourparlers de paix avec les forces rebelles. Les images d’Ingrid Betancourt enchaînée, maigre et entourée de guérilleros FARC ont fait, à l’époque, le tour du monde. La France s’est mobilisée pour sa libération (elle a obtenu sa nationalité française après son mariage en 1981) en collaboration avec la Colombie. Une fois libre, Ingrid Betancourt est restée la plupart du temps en France. Ce que lui reprochent de nombreux adversaires, mais aussi les Colombiens.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ingrid Betancourt, en captivité, le 30 novembre 2007

Parmi eux, les plus intransigeants sont les jeunes. Andres Felipe Tenjo a 18 ans. Cet étudiant en science politique va voter pour la première fois cette année. « Ce n’est pas une candidate crédible pour moi, car dès qu’elle a été libérée par les FARC, elle est partie avec son mari et sa famille. Ce n’est pas une candidate qui a un lien avec la population, qui connaît réellement nos besoins alors que d’autres candidats qui ont vécu en Colombie les comprennent. Ils comprennent toute cette époque de crise sociale que nous avons vécue. »

L’ère du changement

En effet, depuis son enlèvement par les FARC, 20 ans ont passé. La Colombie a changé. La jeunesse a manifesté durant plusieurs mois dans les rues pour exiger des changements. La pauvreté a augmenté avec la pandémie et le manque d’opportunités fait peur aux jeunes.

La candidate présidentielle envoie de son côté ce message aux jeunes Colombiens : « Le choix, c’est eux [les corrompus] ou nous. Est-ce qu’ils veulent que la Colombie continue d’être dominée par ceux qui la volent, la détruisent, par cette machinerie politique de la corruption ? Ou est-ce qu’ils veulent qu’elle soit gouvernée par des personnes comme eux, qui veulent le changement, qui veulent bâtir de nouvelles opportunités pour eux, pour leurs familles, pour qu’ils aient un futur ? »

Dernièrement, un sondage du magazine d’opinion politique colombien Semana attribuait à la candidate de 7 % des intentions de vote, ce qui lui assure la troisième place au premier tour.

D’après Yann Basset, politologue français et professeur en sciences sociales à l’Université del Rosario à Bogotá, rien n’est sûr : « Ingrid n’a pas vraiment changé, alors que la Colombie, oui. Elle est en train de vivre une conjoncture extrêmement difficile. On attend vraiment des réponses à la crise sociale actuelle, des réponses sur l’emploi, sur la sécurité, sur l’éducation. On attend plus qu’un simple discours contre la classe politique. Cela fait partie des discours qui sont toujours un petit peu gagnants, mais qui sont insuffisants dans le contexte actuel. Ses chances sont très minces. On la voyait plutôt comme candidate à la vice-présidence de la coalition de centre, centre-gauche qu’elle a abandonnée. »

En mars prochain, les Colombiens devront d’abord choisir le Congrès, puis le 29 mai, ce sera le premier tour de l’élection présidentielle. Il reste encore quelques mois pour faire campagne, quelques mois pour convaincre les Colombiens fatigués par les discours politiques et les promesses.

En savoir plus
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    Nombre de candidats dans la course à la présidence
    Ingrid Betancourt a été détenue par les FARC du 23 février 2002 au 2 juillet 2008.