(Bogota) Le président colombien Ivan Duque, sous pression de la rue et de la communauté internationale, a annoncé dimanche une réforme de la police critiquée pour sa violente répression du mouvement social qui secoue le pays depuis fin avril et a fait plus de 60 morts.  

Le chef de l’État conservateur a déclaré avoir ordonné la rédaction d’un « décret qui modernisera la structure organisationnelle de la police nationale, avant tout pour consolider la politique […] en matière de droits humains », lors d’une cérémonie de promotion de policiers à Bogota.  

Le président a notamment annoncé la création au sein de la police d’une « direction des droits humains » dirigée par un expert extérieur aux forces de l’ordre.  

Un communiqué du ministère de la Défense, dont dépendent les forces de police dans ce pays marqué par des décennies de conflit armé et la lutte contre le narcotrafic, a détaillé les principaux « piliers » de la « réforme ».  

Outre la création d’une direction spécifique destinée à la « prévention, protection et respect des droits humains », le projet prévoit une restructuration des services d’inspection internes et un meilleur suivi des « plaintes » des citoyens.  

La formation des policiers sera aussi revue, s’alignant sur les « standards internationaux ».  

Il s’agit d’assurer « la professionnalisation pour que tous les policiers soient formés en droits [humains] et usage de la force », a précisé le ministre de la Défense, Diego Molano.

Le gouvernement n’a toutefois pas cédé aux revendications des manifestants qui réclamaient la démilitarisation totale de la police et sa transformation en un corps civil.  

Sur Twitter l’analyste Jorge Restrepo a regretté une décision « tardive » qui « intervient alors que la confiance dans l’institution s’est détériorée ».

Suspension des pourparlers

L’annonce du chef de l’État intervient le jour même de l’arrivée en Colombie d’une délégation de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), chargée d’évaluer la situation en la matière pendant le soulèvement social.

Appauvri par la pandémie avec plus de 40 % des 50 millions de Colombiens en dessous du seuil de pauvreté, le pays est en proie depuis le 28 avril à un vaste mouvement de colère populaire.

Cette fronde sociale, qui se traduit par des manifestations plus ou moins suivies, des blocages routiers et des émeutes, a d’abord éclaté contre un projet de réforme fiscale lancé par le gouvernement en pleine pandémie de coronavirus.  

Le soulèvement s’est par la suite transformé en des appels à un changement de politiques pour une société plus égalitaire. Face à la violente répression, les protestataires ont réclamé avec force une réforme en profondeur de la police.  

Parallèlement, les pourparlers en cours depuis le 7 mai entre le gouvernement et le Comité national de grève, initiateur du mouvement mais qui n’en représente pas tous les secteurs, ont été suspendus, sans qu’aucun accord n’ait été trouvé pour tenter de sortir de la crise.  

Le Comité s’est retiré des discussions, accusant le gouvernement de « retarder délibérément la négociation ».  

Au moins 61 personnes ont trouvé la mort depuis le début de la contestation, dont deux policiers, selon un décompte de l’AFP à partir de chiffres officiels. Selon le parquet, au moins 20 décès sont en lien direct avec les manifestations.  

L’ONG Human Rights Watch affirme disposer d’« allégations crédibles » concernant 67 décès, dont 32 « liés aux manifestations ».   

La journée la plus sanglante a eu lieu le 28 mai dans la ville de Cali (sud-ouest) lorsque treize personnes ont été tuées lors d’affrontements entre manifestants, policiers et des civils armés, poussant l’ONU à réclamer une enquête indépendante.  

En mai, l’AFP a visionné une quarantaine de vidéos d’une scène de répression policière qui a été condamnée par l’ONU, l’Union européenne et les États-Unis.

Après des décennies de stigmatisation de la protestation sociale, associée aux rébellions de gauche, les jeunes, qui n’ont pas connu les années noires du conflit armé, n’ont plus peur de descendre dans la rue et n’hésitent pas à filmer la répression avec leurs téléphones intelligents.

En 2020 déjà, la police avait provoqué l’indignation après la mort à Bogota d’un homme de 43 ans brutalisé par des policiers. Une cinquantaine de commissariats avaient été attaqués. Treize personnes avaient péri, en majorité des jeunes tués par balles. Sous pression de la CIDH, le gouvernement avait dû demander pardon.