Le président brésilien, Jair Bolsonaro, qui se retrouve fragilisé par sa gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 et des allégations de corruption ciblant sa famille, a appelé ses partisans à descendre dans la rue mardi dans l’espoir de se remettre en selle.

Le controversé politicien d’extrême droite a réitéré lors d’une première manifestation dans la capitale, Brasilia, ses attaques contre la Cour suprême, qui enquête à son sujet, en se présentant comme la cible de manœuvres antidémocratiques.

« Nous ne voulons pas de rupture. Nous ne voulons pas nous battre avec les autres pouvoirs. Mais nous ne pouvons pas nous permettre que quiconque mette en péril notre liberté », a déclaré le chef d’État, cité par l’Agence France-Presse.

Il a repris le thème par la suite lors d’une seconde manifestation à São Paulo devant une foule de quelques centaines de milliers de partisans apparemment inférieure aux « millions » espérés.

Jair Bolsonaro avait prévenu, à l’approche de la journée de mobilisation, qu’elle constituait un « ultimatum » pour le plus haut tribunal du pays.

Ces menaces répétées alimentent les craintes d’un coup de force de la part de l’ex-militaire, qui se retrouve au plus bas dans les sondages à un an de la tenue de la prochaine élection présidentielle.

« Dans la peur d’un nouveau coup d’État »

Dans une sortie inusitée en début de semaine, un groupe d’anciens dirigeants politiques de gauche de plusieurs pays a dénoncé, dans une lettre ouverte, la situation au Brésil en reprochant au président de vouloir orchestrer une insurrection reflétant l’assaut contre le Capitole américain survenue à Washington en janvier.

« Les gens vivent dans la peur d’un nouveau coup d’État… C’est vraiment angoissant de devoir toujours se demander ce que nous allons devenir », souligne Rafael Soares Gonçalves, chercheur rattaché au département de travail social de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro.

Le ressortissant brésilien pense qu’il est possible que les sorties du président ne soient qu’un stratagème, puisqu’il a souvent eu recours à des « discours un peu fous » par le passé pour détourner l’attention de la population des difficultés qu’elle traverse, tant sur le plan sanitaire qu’économique.

Quoi qu’il en soit, je n’imagine pas Bolsonaro acceptant de transférer le pouvoir à quelqu’un d’autre que lui-même.

Rafael Soares Gonçalves, chercheur rattaché au département de travail social de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro

Le chercheur voit mal comment le chef d’État peut espérer remporter la prochaine élection démocratiquement. « Pour l’heure, il est donné perdant dans tous les scénarios », relève-t-il.

Jean Daudelin, spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Carleton, ne pense pas que l’armée brésilienne soutiendrait une tentative de renversement de l’ordre constitutionnel au profit de Jair Bolsonaro.

Bien que plusieurs militaires de haut rang figurent parmi ses ministres, les relations ne sont pas au beau fixe. La situation a notamment été mise en relief en mars par le départ de plusieurs commandants de l’armée en réaction au limogeage du ministre de la Défense, un général respecté.

La véritable menace, note M. Daudelin, vient plutôt de la police militaire, qui relève en principe des gouverneurs de chaque État.

Le président Bolsonaro est populaire parmi ces policiers, qui peuvent facilement susciter un véritable chaos sécuritaire en se mettant en grève en raison de l’importance des gangs criminels opérant dans le pays, note l’analyste.

À défaut d’appuyer le politicien d’extrême droite, on ne peut exclure, ajoute-t-il, que l’armée soit éventuellement tentée de profiter du chaos pour reprendre en main le pays à son propre profit.

« Quand on démarre une insurrection, on ne sait jamais ce que ça peut devenir. Plus encore dans un pays comme le Brésil, où la démocratie reste fragile », relève Rafael Soares Gonçalves.

Gestion pandémique critiquée

Comme le faisait l’ex-président des États-Unis Donald Trump, Jair Bolsonaro ne cesse de critiquer le système de vote existant dans son pays, arguant qu’il est nécessaire de le réformer pour éviter les fraudes. Les efforts de ses partisans en ce sens au Congrès n’ont cependant pas abouti.

Jean Daudelin prévient que toute allégation de fraude massive suivant l’élection de 2022 n’aurait aucune chance d’aboutir, « puisqu’il n’a tout simplement pas les appuis institutionnels dont disposait Trump » pour tenter la manœuvre.

Le favori pour l’heure est l’ex-président Luiz Inacio Lulu da Silva, qui a recouvré son droit de se porter candidat au printemps après que la Cour suprême a annulé des condamnations pour corruption contre lui.

L’homme fort de la gauche multiplie les critiques à l’encontre du président brésilien en lui reprochant notamment d’avoir transformé la pandémie de COVID-19 en « arme de destruction massive ».

Le Brésil présente l’un des pires bilans de la planète, avec plus de 20 millions de cas d’infection confirmés et près de 600 000 morts.

Jair Bolsonaro espérait qu’une relance économique suivrait la fin de la dernière vague et viendrait améliorer son image auprès de la population, mais le variant Delta est venu changer la donne, relève M. Soares Gonçalves, qui ajoute aux tourments de la population une inflation galopante et une sécheresse qui fait flamber les coûts de l’énergie.

« Les Brésiliens sont vraiment très fatigués avec tout ce qu’on a à vivre. C’est tellement surréel », conclut-il.