Pendant des décennies, elles étaient inaccessibles. Au cœur de l’Amazonie colombienne, 75 000 peintures rupestres réparties sur 40 fresques peuvent aujourd’hui être étudiées par les archéologues grâce à la signature, en 2016, d’un accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie.

(Bogotá) Il faut entrer dans le poumon vert de notre planète, se perdre dans une forêt dense et humide tout en écoutant les cris des singes hurleurs et enfin gravir la serranía de La Lindosa, chaîne de montagnes de l’Amazonie colombienne, pour découvrir un monde oublié de peintures rupestres.

Une carte au trésor difficile à déchiffrer, où il faut comprendre le sens des symboles et des formes géométriques, et deviner quel animal se cache derrière ces figures d’un rouge encore éclatant gravées à l’oxyde de fer sur les parois rocheuses. Sur le site du Cerro Azul, les archéologues y ont reconnu une mégafaune aujourd’hui disparue : des mastodontes, ancêtres des éléphants, des paresseux géants ou encore des paléolamas de la fin de l’ère glaciaire, il y a 12 500 ans.

Grâce aux fouilles effectuées en 2018 par une équipe d’archéologues colombiens, ils ont pu aussi retrouver des restes humains et des centaines de milliers de fragments d’animaux qui sont toujours en cours d’analyse en laboratoire. Ils ont ainsi pu établir une date précise : plus de 12 000 ans de présence humaine ininterrompue sur ces lieux.

D’habitude, les différentes couches du sol nous montrent des populations qui viennent et repartent. Ici, nous avons la preuve d’une présence humaine en continu. Ce qui nous permet de savoir la façon que vivaient les personnes il y a plus de 12 000 ans jusqu’à il n’y a pas très longtemps.

Jeison Lenis Chaparro, archéologue à l’Université nationale de Colombie à Bogotá

Sur les fresques sont représentés de nombreux hommes et même des femmes qui semblent enceintes. Les premiers peuples d’Amazonie décrivent leur vie quotidienne : des scènes de chasse, de pêche, ainsi que des cérémonies religieuses juste en dessous de deux animaux qui se font face.

« On peut voir beaucoup de scènes de personnes en adoration, en plein rituel, les mains levées vers le ciel, comme si elles étaient en train de prier un être plus grand, qui peut être dans ce cas cet animal : le tapir. Ce dernier est encore vénéré par les peuples autochtones actuels », explique William Rojas, guide touristique au Cerro Azul.

Royaume oublié

Longtemps oublié et inaccessible pendant des décennies à cause de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le site est aujourd’hui ouvert au public et aux scientifiques. Depuis les accords de paix signés en 2016 entre le gouvernement colombien et les ex-guérilléros, les expéditions et donc les découvertes se sont accélérées.

« Le site du Cerro Azul est le mieux conservé avec une vingtaine de fresques. Il était déjà connu au moins depuis un siècle par les tribus autochtones qui vivaient autour. Dans les années 1980 à 1990, quelques scientifiques ont tenté d’y mener des recherches, mais c’était compliqué, car il était au cœur d’une zone de conflit. En 2014, avec les premières négociations de paix, on a pu faire les premières fouilles, mais c’est surtout en 2018 qu’on a avancé et trouvé deux nouvelles fresques », raconte Gaspar Morcote Rios, archéologue et chef de l’expédition.

Des graffitis de touristes sur les peintures millénaires

Le Cerro Azul appartient à la famille Rojas depuis une vingtaine d’années. Le père, Don José Noé Rojas, est un « colon » qui s’est installé sur ces terres autochtones pour cultiver de la coca à l’abri des regards et des autorités. Il y a quelques années, avec la paix, il a participé au programme de substitution des cultures illicites pour éradiquer la coca et produire d’autres cultures.

Aujourd’hui, la famille accueille régulièrement des touristes et fait payer l’entrée 9000 pesos, somme dérisoire, l’équivalent de 3 dollars canadiens.

Même si le Cerro Azul a été déclaré site archéologique protégé de Colombie en mai 2018, il n’est pas protégé ou régulé.

PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

William Rojas, guide officiel du Cerro Azul

Nous n’avons aucune aide de l’État pour l’entretenir et y établir des protections comme des barrières ou des vitres.

William Rojas, guide officiel du Cerro Azul

Malheureusement, des graffitis laissés par des touristes viennent altérer ces témoignages millénaires.

À San José del Guaviare, capitale du département de Guaviare, leur sauvegarde est devenue une priorité pour les autorités.

« On est en train de s’organiser, de monter un plan de développement touristique afin d’assurer la protection du site. Et ainsi de tout mettre en œuvre pour que le tourisme dans le Guaviare soit réellement durable », souligne Francisco Eldio Cuellar Guzman, premier adjoint au maire de San José del Guaviare.

Le fléau de la déforestation

Mais une autre activité humaine bien plus inquiétante menace les peintures rupestres : la déforestation de l’Amazonie.

Depuis le départ des FARC de ces zones reculées, les chiffres liés à la déforestation sont alarmants et battent des records historiques. Le Guaviare figure au deuxième rang des départements les plus touchés de Colombie, avec plus de 22 % l’année dernière. Un fléau que les anciens guérilléros des FARC ne cessent de dénoncer.

PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

César Garcia, ex-guérilléro des FARC

« Avant, la nature et l’environnement étaient protégés de manière très simple : on avait établi 40 règles de cohabitation avec les populations. Il y avait donc certaines restrictions. Par exemple, le paysan n’avait pas le droit d’abattre des arbres de la forêt vierge ou des montagnes sous peine de sanctions économiques. Les mêmes règles s’appliquaient à la chasse et à la pêche », décrit César Garcia, ex-guérilléro.

Le gouvernement colombien a pourtant pris des engagements pour lutter contre le déboisement intensif lors du pacte de Leticia, signé en septembre 2019 avec six autres pays.

« Nos recherches sont fondamentales pour construire l’histoire de notre pays en tant que nation », ajoute l’archéologue Gaspar Morcote Rios. « Elles peuvent mettre fin à un conflit qui dure depuis des décennies et apporter la paix, mais le gouvernement doit prendre toutes ces responsabilités dans ces régions oubliées. »