(Caracas) Files d’attente kilométriques devant les stations-service, manque de liquidités pour acheter des combustibles à l’étranger : en pleine pandémie, le Venezuela est touché par une pénurie d’essence qui met en péril son système sanitaire et fragilise son économie dévastée par la crise.

Depuis près d’un mois, trouver une station ouverte à Caracas tient du parcours du combattant. Lorsqu’une pompe a pu remplir ses cuves, il faut attendre cinq, six, voire dix heures avant de pouvoir faire le plein.  

Neila Lopez est médecin. Elle a passé la nuit dans sa voiture, pour s’assurer sa place dans la file d’attente constituée par une centaine de compagnons de galère. « Si ça empire, on tombe dans le chaos », souffle-t-elle.  

Au petit matin, les 38 000 litres dont dispose la station-service partent en trois heures. Les seuls à y avoir droit sont les policiers, les militaires, les médecins ou ceux qui remplissent une « fonction essentielle » dans le dispositif de confinement quasi total décrété par le président Nicolas Maduro le 17 mars.

D’ordinaire quasiment gratuite à la pompe, l’essence se vend aujourd’hui 1 dollar le litre sur le marché noir.

Les pénuries de carburant ne sont pas nouvelles au Venezuela. Ce qui l’est plus, c’est l’ampleur de la pénurie actuelle : d’ordinaire épargné car choyée par le pouvoir chaviste, Caracas est à sec elle aussi, en pleine pandémie de COVID-19.  

La production d’or noir du Venezuela a dégringolé ces dernières années, pour passer de trois millions de barils par jour il y a sept ans à 865 000 en février, selon les chiffres communiqués par Caracas à l’OPEP. Pis : seules deux des six raffineries du pays fonctionnent.  

L’opposition autour de son chef de file Juan Guaidó met cet effondrement sur le compte de la corruption et du manque d’investissements. Le pouvoir, lui, fustige les sanctions américaines contre le Venezuela.

« Nous travaillons à résoudre » la pénurie, a assuré M. Maduro samedi à la télévision d’État.

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Le président Nicolas Maduro

Le Venezuela, qui dispose des plus grandes réserves de pétrole au monde, est donc contraint d’importer de l’essence.  

Mais pour importer, il faut payer. Or le pays affronte la pire crise économique de son histoire récente. Son PIB s’est contracté de moitié en six ans et l’hyperinflation atteint des sommets, +9585 % en 2019, selon la Banque centrale.

En outre, les États-Unis, qui tentent de pousser Nicolas Maduro vers la sortie, ont mis en place un embargo sur le pétrole vénézuélien. Et le spectre de sanctions américaines plane sur les partenaires étrangers du secteur pétrolier vénézuélien.

« Sans essence, pas de nourriture »

La pénurie d’essence a d’ailleurs commencé à se faire sentir à Caracas quelques semaines après que Washington a sanctionné Rosneft Trading, une filiale du géant pétrolier russe Rosneft, mi-février. Un mois et demi plus tard, Rosneft a annoncé l’arrêt de ses activités au Venezuela.

À cela est venue s’ajouter la chute des cours mondiaux, un « coup violent », comme l’a reconnu Nicolas Maduro.

Ces facteurs se sont conjugués au moment où le Venezuela recensait son premier cas de coronavirus et mettait en place un confinement quasi total de ses 30 millions d’habitants pour tenter d’enrayer la progression de la maladie, dont 175 cas ont été confirmés, avec neuf décès.

« C’est la tempête parfaite », explique à l’AFP Francisco Morandi, économiste à l’Université Rice de Houston, aux États-Unis. Les sanctions américaines à l’encontre de la filiale de Rosneft ont terrifié les éventuels partenaires étrangers de Caracas.

Résultat : « au cours des cinq dernières semaines, un seul pétrolier italien est venu livrer » du combustible, relève Francisco Morandi.  

Et le Venezuela s’est retrouvé à sec en pleine pandémie, compliquant d’autant le transport du personnel soignant et des denrées alimentaires.  

Sur Twitter, le mot-clef « #SinGasolinaNoHayComida » (Sans essence, pas de nourriture) fait florès, les Vénézuéliens se faisant l’écho des pénuries d’aliments qui commencent à les toucher.

Mais Henkel Garcia du cabinet Econometrica se veut légèrement optimiste pour la simple raison que le diesel, qui fait tourner les camions de livraison, est toujours à peu près « disponible ».

Certes, rétorque Aquiles Hopkins, président de l’association d’agriculteurs Fedeagro, les pénuries d’essence vont sans doute générer des problèmes d’approvisionnement.  

Mais, souligne-t-il, « si l’offre chute, on ne verra pas une grande différence car la demande est déjà basse en raison du faible pouvoir d’achat des Vénézuéliens », dont le salaire minimum n’atteint pas les 5 dollars par mois.