Evo Morales a dirigé la Bolivie pendant près de 14 ans avant d’être forcé de quitter son poste et son pays il y a quelques jours. Parmi les héritages de l’ex-président socialiste se trouve une politique controversée qui permet aux paysans de faire pousser de la coca en toute légalité... avec l’interdiction formelle d’en tirer de la cocaïne. La Presse est allée voir comment fonctionne ce système unique au monde.

« La coca paie les études de mes enfants »

Oubliez le visage masqué, la tenue de camouflage et la mitraillette en bandoulière. À 60 ans, Fernando Flores n’a pas la tête à figurer dans une série télé comme Narcos. Chaussé de souliers noirs vernis, vêtu d’un pantalon gris et d’un débardeur bleu marine, il arrache quelques fruits d’un arbre et nous les tend avec un grand sourire.

« Goûtez à mes oranges ! », lance-t-il.

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Fernando Flores

Fernando Flores est pourtant ce qu’on appelle en Bolivie un cocalero – un cultivateur de coca. La terre à flanc de montagne qu’il exploite près de la petite ville de Coroico, à trois heures de route de La Paz, offre une vue spectaculaire. Des urubus tournoient entre les sommets de la chaîne des Yungas pendant que des perroquets, cachés dans la végétation luxuriante, font un boucan d’enfer. Un toucan se pose sur une branche, attrape un fruit dans son bec et repart aussitôt.

Citrons, bananes, mandarines, oranges, café : Fernando Flores cultive toutes sortes de denrées sur le demi-hectare qu’il possède. Mais ce qui le fait réellement vivre est un arbuste de moins d’un mètre de hauteur doté de petites feuilles vertes et rondes : la coca.

« La nourriture, les études de mes quatre enfants, c’est la coca qui paie ça », dit l’homme. En équilibre dans une pente prononcée, il arrache des mauvaises herbes autour des plants.

« Quand on la plante, la coca est comme un bébé. Il faut toujours s’en occuper. Il faut désherber, désherber, désherber », dit Fernando Flores. Après, par contre, la récolte est un jeu d’enfant. Les feuilles de coca sont beaucoup moins lourdes que les fruits, si bien que M. Flores peut payer ses employés moins cher pour les récolter. Il dit obtenir entre 200 et 300 bolivianos pour 45 kg de café (entre environ 40 et 60 $ CAN). La même quantité de feuilles de coca lui rapporte cinq fois plus.

« La coca, c’est mieux », tranche-t-il.

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Des urubus tournoient entre les sommets de la chaîne des Yungas pendant que des perroquets, cachés dans la végétation luxuriante, font un boucan d’enfer.

Un marché de coca légal

Trois fois par année, Fernando Flores embarque de gros sacs de coca dans un camion et gagne La Paz par une route qui grimpe à pic dans les montagnes. En trois heures de conduite, il passe d’une altitude de 1525 m à Coroico à 3640 m à La Paz. Au fil du trajet, la jungle disparaît graduellement pour faire place à des montagnes rocailleuses. Quelques kilomètres avant La Paz, le paysan doit faire peser sa coca dans un poste des autorités anti-narcotiques.

Puis il s’arrête à Villa Fatima, à l’entrée de la métropole bolivienne, le plus gros marché de coca du pays. Installé dans un vieil édifice de ciment peint d’un vert délavé, l’endroit sombre dégage une odeur végétale qui prend à la gorge. Assis directement sur le ciment derrière des sacs gros comme des tonneaux, des femmes en habits traditionnels et quelques hommes vendent leur marchandise à des clients qui hument les feuilles, en lancent quelques poignées dans des sacs en plastique, puis tendent des billets en retour. Les curieux se font ici dévisager d’un air dur qui invite à aller voir ailleurs, et les photos sont interdites.

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Situé à l’entrée de La Paz, Villa Fatima est le plus gros marché de coca du pays.

Un système unique au monde

À part peut-être quelques parcelles dans le nord du Chili et de l’Argentine, toute la coca de la planète provient de trois pays : la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Dans les deux premiers, voir un cultivateur de coca parler ouvertement à des journalistes serait une scène impensable. Mais la Bolivie a mis en place un système unique au monde dans lequel la culture de coca est en partie légale.

L’État protège la coca, une plante ancestrale et indigène, comme un patrimoine culturel, une ressource naturelle de la biodiversité de la Bolivie, et comme un facteur d’unité sociale. À son état naturel, la coca n’est pas un narcotique.

Extrait de l’article 384 de la Constitution bolivienne, réécrite en 2009

Dans ce modèle, on reconnaît que la population de la Bolivie utilise la coca depuis des millénaires pour combattre le mal de l’altitude, se donner de l’énergie et couper la faim. Les feuilles sont soit mâchées, soit infusées et bues sous forme de thé appelé « mate de coca ». Encore aujourd’hui, dans les hôtels de La Paz, le thé de coca est invariablement offert au petit-déjeuner, au même titre que le café.

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Dans les hôtels de La Paz, le thé de coca est invariablement offert au petit-déjeuner, au même titre que le café.

L’État bolivien a permis la culture de la coca dans deux régions du pays : les Yungas, où cultive Fernando Flores, et le Chapare, plus à l’est. Un plafond national de 22 000 hectares a été instauré, soit la moitié de la superficie de l’île de Montréal. Des lots appelés catos qui permettent de cultiver la coca ont été distribués aux paysans. Ils équivalent à 1600 m2 dans le Chapare et 2500 m2 dans les Yungas. Fernando Flores possède deux de ces lots, qu’il dit avoir obtenus des leaders de sa communauté.

Officiellement, la légalisation de la culture de coca en Bolivie remonte à 1988. Mais c’est vraiment Evo Morales qui a défini la politique actuelle. Celui qui a récemment démissionné de son poste de président de la Bolivie après des élections controversées dirigeait le pays depuis 2006. Indigène et lui-même ancien cocalero, il a fait la promotion d’un slogan simple : « Coca Si, Cocaina No » (Oui à la coca, non à la cocaïne). En 2008, dans un geste aussi audacieux que provocateur, l’ex-président socialiste a expulsé la puissante Drug Enforcement Administration américaine du territoire bolivien. Les relations entre Washington et Sucre, la capitale de la Bolivie, sont glaciales depuis.

Dans les bonnes grâces de l’ONU

En entrant dans le quartier de San Miguel, à La Paz, le tourbillon créé par les klaxons, les chiens errants et les marchands de rue qui animent en permanence la métropole bolivienne s’atténue considérablement. C’est ici, entouré d’avenues calmes bordées de villas protégées comme des forteresses, qu’est installé l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

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Le quartier de San Miguel, à La Paz

Le Français Thierry Rostan y dirige une équipe de 50 personnes. L’un de ses rôles principaux : surveiller, par des images satellitaires et des relevés sur le terrain, l’étendue des cultures de coca en Bolivie. L’an dernier, l’équipe a évalué cette superficie à 23 100 hectares, en réduction de 6 % par rapport à l’année précédente.

« On se rapproche de plus en plus de la limite autorisée de 22 000 hectares, commente M. Rostan à La Presse.

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Thierry Rostan, représentant de l’ONUDC en Bolivie

Pour la première fois depuis plusieurs années, la Bolivie a interrompu le flux ascendant de culture de coca. C’est plutôt une bonne nouvelle : ça veut dire que les autorités boliviennes sont en train de faire ce qu’il faut pour respecter leurs engagements.

Thierry Rostan, représentant de l’ONUDC en Bolivie

Alors que Washington a retiré sa certification au programme antidrogue de la Bolivie et dénonce le pays sur toutes les tribunes, l’ONU tient un autre discours. M. Rostan souligne que sous la supervision de l’ONU, l’État bolivien a éradiqué 11 000 hectares de cultures de coca l’an dernier.

« Le gouvernement bolivien prend les choses au sérieux. On travaille en coopération et on a une excellente collaboration », assure-t-il.

Prix élevés

Personne n’est dupe : une partie de la coca cultivée en Bolivie est bel et bien transformée en cocaïne. Cette proportion est inconnue, mais l’ONUDC valide chaque année des saisies et des démantèlements de laboratoires réalisés par la police anti-narcotique bolivienne. Selon Thierry Rostan, le prix très élevé de la feuille de coca en Bolivie, qui découle du système de gestion de l’offre, décourage toutefois grandement cette transformation. L’an dernier, un kilo de feuilles de coca se vendait 12,50 $ US en Bolivie contre 76 cents US en Colombie, soit 16 fois plus. Le prix de la coca péruvienne n’est pas disponible pour 2018, mais se chiffrait à 3,40 $ US le kilo en 2017. Bref, il est beaucoup plus avantageux pour les fabricants de cocaïne d’utiliser des feuilles de coca colombiennes et péruviennes que boliviennes. Et les producteurs boliviens peuvent obtenir d’excellents prix sur le marché légal, ce qui décourage les usages illégaux.

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Sur la route reliant Coroico à La Paz, on croise un poste des autorités anti-narcotiques.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du système bolivien, Thierry Rostan répond justement par une comparaison avec le Pérou et la Colombie.

« Dans ces deux pays, beaucoup d’argent est injecté dans la police, les militaires, l’interdiction. Ici, ce n’est pas vraiment le cas. Et l’an dernier, on avait 169 000 hectares de culture de coca en Colombie, 49 000 au Pérou et 23 000 ici », observe-t-il.

Thomas Grisaffi, un chargé de cours à l’Université Reading, en Angleterre, a étudié à fond le système bolivien de culture de coca et en a tiré un livre intitulé Coca Yes, Cocaine No – How Bolivia’s Coca Growers Reshaped Democracy (Oui à la coca, non à la cocaïne : comment les cultivateurs de coca boliviens ont remodelé la démocratie).

« En termes de violence, de droits humains, d’hectares de coca cultivés, il est clair que la situation est bien meilleure aujourd’hui en Bolivie qu’à l’époque de la guerre à la drogue », dit-il aussi.

De l’éradication à la légalisation

Années 1970-1980

La production de coca en Bolivie, qui existe depuis des millénaires, explose en raison de la demande pour la cocaïne dans les pays occidentaux.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

1986

De concert avec la police bolivienne, le gouvernement américain lance l’opération Blast Furnace. Pas moins de 160 soldats américains, équipés d’hélicoptères, sont déployés pour éradiquer les cultures de coca. L’initiative est très mal reçue par les paysans. Dans la petite ville de Santa Ana del Yacuma, 6000 citoyens se regroupent et expulsent 150 soldats et policiers de leur territoire.

1988

La loi antidrogue 1008 est adoptée par le président bolivien Victor Paz Estenssoro sous la pression des États-Unis. La loi permet la production de coca sur 12 000 hectares (l’équivalent du centre-ville de Montréal) dans la région des Yungas, mais prévoit des peines sévères pour la culture illégale et le trafic de drogue. Elle fait bondir le nombre de gens emprisonnés dans le pays.

Années 1990

La répression et l’éradication forcée des cultures entraînent plusieurs affrontements entre les militaires et les paysans.

PHOTO ONZALO ESPINOZA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des cultivateurs de coca venus manifester dans le centre de La Paz pour demander au gouvernement de mettre un terme à la militarisation de la répression contre la production de coca et le trafic de drogue mâchent des feuilles de coca devant les policiers, en avril 1991.

1997-2001

Le président bolivien Hugo Banzer Suarez lance le Plan Dignidad (Plan pour la dignité), qui vise à complètement éradiquer la culture de coca en Bolivie. Les affrontements font des morts tant du côté des paysans que du côté des militaires et des policiers.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Accompagné du commandant en chef des forces boliviennes Alvin Anaya (à gauche), le président Hugo Banzer Suarez salue la foule alors qu’il annonce qu’il quitte ses fonctions, forcé de démissionner pour des raisons de santé, laissant le pouvoir à son vice-président, Jorge Quiroga, à Santa Cruz de la Sierra, le 7 août 2001.

2004

Le président bolivien Carlos Mesa crée le cato de coca et permet la culture dans le Chapare.

2005-2006

Evo Morales, lui-même cocalero et président de la fédération des cultivateurs de coca de Bolivie, est élu président du pays en décembre 2005 et entre en fonction en janvier 2006. La politique « Coca Si, Cocaina No » est adoptée. L’éradication forcée est grandement diminuée.

PHOTO JOSE MIGUEL GOMEZ, ARCHIVES REUTERS

Evo Morales

2008

Evo Morales expulse la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine de Bolivie.

2009

La nouvelle Constitution du pays mentionne l’obligation de « protéger la culture autochtone et ancestrale de la coca comme un patrimoine culturel ».

2011

Morales retire la Bolivie de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 de l’ONU, qui exige que ses membres combattent les substances prohibées, dont fait partie la feuille de coca.

2013

La Bolivie réintègre la Convention unique sur les stupéfiants, avec une disposition qui lui reconnaît le droit d’utiliser la feuille de coca pour les usages traditionnels. Une quinzaine de pays, dont tous les pays du G8 y compris le Canada, s’opposent à cette réintégration, mais celle-ci obtient néanmoins le soutien international nécessaire.

PHOTO JUAN KARITA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des producteurs de coca offrent gratuitement des feuilles, lors d’un événement commémorant la tradition ancestrale bolivienne qui consiste à mâcher des feuilles de coca, à La Paz, en janvier 2013.

2017

La superficie permise, qui était officiellement toujours à 12 000 hectares, mais officieusement à 20 000 hectares, est augmentée à 22 000 hectares.

Novembre 2019

Evo Morales démissionne de la présidence de la Bolivie à la suite d’élections controversées et trouve refuge au Mexique.

Le système bolivien en cinq questions

Comment la Bolivie s’y prend-elle pour limiter la culture de coca ?

Selon Thierry Rostan, représentant de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en Bolivie, une partie de la réponse se trouve dans « l’autocontrôle » fait par les paysans eux-mêmes. Ceux-ci sont en effet conscients qu’une multiplication de la production entraînerait une chute des prix de la feuille de coca. « Si un voisin commence à dépasser la superficie autorisée, les autres interviennent pour essayer de concilier, illustre M. Rostan. Ce système repose sur un équilibre social. »

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Thierry Rostan, représentant de l’ONUDC en Bolivie

Mais l’attrait de la coca reste fort, et l’autocontrôle ne fonctionne pas toujours. Chaque année, grâce aux renseignements fournis par l’ONUDC, le gouvernement bolivien éradique de force plus de 10 000 hectares de cultures illégales, notamment dans des zones non permises comme des réserves naturelles. « C’est un système qui est assez coûteux. Il faut aller dans la jungle et dans les montagnes, dans des conditions un peu spartiates. Il faut déplacer les gens, les faire dormir sous des tentes, les nourrir. Il y en a toujours un qui se fait mordre par un croco ou qui tombe malade en buvant de l’eau contaminée. Les plants sont arrachés à la main, c’est un travail très manuel », raconte M. Rostan, dont certains collègues suivent les agents du gouvernement sur le terrain.

Qui est derrière les cultures illégales ?

« En Bolivie, ce sont surtout des paysans qui envahissent les zones interdites pour faire pousser de la coca parce qu’elle est profitable. En général, ce ne sont pas des groupes criminalisés. On n’est pas dans le contexte de la Colombie, où des zones sont sous le contrôle de groupes paramilitaires ou de guérilleros », dit Thierry Rostan. Le représentant de l’ONU s’inquiète toutefois de voir que les quotas sont parfois difficiles à faire respecter dans certaines régions des Yungas. « Dans les environs de La Asunta, par exemple, toutes les montagnes sont remplies de coca, dit-il. C’est devenu une monoculture. Ça veut dire que les paysans ont délaissé les autres produits agricoles. C’est un grave problème. »

Il faut savoir qu’à l’origine, le lot appelé cato de coca avait été pensé pour qu’il puisse aider les familles, mais sans subvenir à la totalité de leurs besoins. « C’est un filet de sécurité économique qui leur permet de se diversifier et de faire autre chose. C’est un levier. Ils peuvent investir 1000 $ pour partir une plantation d’ananas parce qu’ils ont ces revenus », illustre l’expert Thomas Grisaffi, de l’Université Reading. Selon lui, le contrôle de la culture de coca doit absolument passer par l’amélioration des possibilités économiques des paysans.

« S’ils n’ont pas d’autre façon d’assurer leur subsistance, c’est sûr qu’ils vont faire pousser de la coca », dit-il.

Est-ce à dire que la Bolivie est exempte de groupes criminels ?

Non. Mais selon Thierry Rostan, ceux-ci s’approvisionnent surtout en feuilles de coca péruviennes, moins chères que les boliviennes. Ils les transforment ensuite en cocaïne dans la jungle bolivienne avant d’exporter la drogue vers le Brésil, qui est à la fois un marché et une porte vers l’Europe et l’Afrique.

Notons que la Bolivie n’est pas exempte non plus de violence attribuable à la coca. Des tensions existent notamment entre les producteurs des Yungas et du Chapare. L’été dernier, le dirigeant d’un syndicat de paysans appelé Cofecay a été assassiné par un tueur à gages. Les médias locaux rapportent que le gouvernement soupçonne un autre syndicat, Adepcoca, d’avoir commandé le meurtre. « Oui, il y a de la violence, mais c’est au niveau de l’école maternelle si on compare à ce qui se passe en Colombie », commente l’expert Thomas Grisaffi.

Comment la limite de 22 000 hectares a-t-elle été fixée ?

C’est peut-être le point faible du modèle bolivien : le plafond de culture n’a pas été fixé en fonction de la consommation nationale, qui demeure inconnue. En 2013, une étude menée par l’Union européenne avait estimé que 13 700 hectares de culture étaient suffisants pour fournir la coca nécessaire aux besoins traditionnels de toute la Bolivie. Les chiffres n’ont toutefois pas été mis à jour. Selon Thomas Grisaffi, les politiciens, dont Evo Morales et l’ancien président Carlos Mesa, n’ont pas réellement fixé de plafond : ils ont simplement distribué des permis de production à leurs partisans pour les remercier de leur soutien. Au bout du compte, le total a atteint 22 000 hectares. « Il y avait effectivement des gens qu’il fallait remercier avec un produit qui rapporte beaucoup. Avec les 22 000 hectares, il y a un équilibre social qui se tient », confirme Thierry Rostan, de l’ONU. Conscient que la production de coca excède les besoins, le gouvernement a tenté de créer une industrie autour de la coca pour en fabriquer du dentifrice, des crèmes, des bonbons et même du vin. Ces productions restent toutefois faibles, et on peut penser qu’une partie de la production légale est détournée vers la production de cocaïne.

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Comment Washington voit-il le modèle bolivien ?

Chaque année, la Maison-Blanche publie un communiqué sur la culture de coca et la production de cocaïne dans les Andes. Après avoir vanté les efforts de la Colombie et affirmé que le Pérou est un « partenaire formidable », le communiqué tient invariablement des mots durs envers la Bolivie. « En Bolivie, nous aimerions voir de réels efforts contre la culture et la production », peut-on lire dans la plus récente version du document. « Malgré ses 169 000 hectares, la Colombie est du côté des pays qui collaborent avec Washington », commente Thierry Rostan, de l’ONUDC. « Comme plusieurs agences des États-Unis ont été congédiées ici, si on peut dire, la Bolivie se retrouve parmi les pays qui n’ont pas la certification de Washington, aux côtés du Venezuela et du Nicaragua. Ça ne vient pas du côté technique, mais bien politique. »

« Nous faisons ici plusieurs études pour blinder les doutes de la communauté internationale sur la bonne volonté des autorités boliviennes, ajoute M. Rostan. On peut invoquer que la Bolivie est un producteur de coca et donc un narco-État. Nous, on apporte les preuves de ce qui se passe réellement. » La Drug Enforcement Administration (DEA) n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.