Le Parlement européen a attribué jeudi son prix Sakharov 2017 pour la «liberté de pensée» à l'opposition démocratique vénézuélienne, qui reçoit ce soutien international au moment où elle est affaiblie et divisée face au président socialiste Nicolas Maduro.

La récompense, qui a fait grincer des dents parmi les eurodéputés, a été plus précisément attribuée à l'Assemblée nationale vénézuélienne, seule institution dominée par l'opposition, ainsi qu'à une liste de prisonniers politiques.

«Il y a une véritable crise économique et sociale, la situation s'est détériorée, nous sommes face à une véritable crise humanitaire» au Venezuela, a déclaré en session plénière le président du Parlement européen, Antonio Tajani, en annonçant le choix des chefs de groupes parlementaires.

«Nous voulons lancer un appel, nous voulons une transition pacifique vers la démocratie» dans ce pays d'Amérique latine plongé dans une crise politique et économique, a poursuivi à la tribune M. Tajani, qui a dénoncé la «dictature» du président Maduro.

Le gouvernement n'a pas apprécié: «Le Parlement européen ôte son masque en soutenant une opposition violente et en promouvant de manière illégale un changement de régime par la force au Venezuela», a dénoncé le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Jorge Arreaza.

«C'est un prix pour tout le peuple vénézuélien et le Parlement (...), une reconnaissance à la lutte pour la liberté, une preuve du soutien de la communauté internationale et des démocraties du monde», a lui réagi le président de cette assemblée, Julio Borges, y voyant l'opportunité d'«unir les forces» de l'opposition, très divisée. 

La gauche radicale mécontente 

Le prix est une «reconnaissance» au «courage» des prisonniers politiques - 391 selon l'ONG Foro Penal - et au «peuple vénézuélien pour être resté ferme contre un régime qui réprime, persécute et viole les droits de l'homme», a souligné Lilian Tintori, épouse du dirigeant d'opposition Leopoldo Lopez, condamné à près de 14 ans de prison.

Depuis le début de l'année, plus d'une centaine de personnes «ont été assassinées dans des manifestations, la plupart étant des manifestations anti-gouvernementales, et plus de 500 ont été emprisonnés arbitrairement» au Venezuela, a souligné le Parlement européen dans un communiqué.

Le 11 octobre, les 28 États membres de l'UE avaient donné leur «accord de principe» à la mise en place de sanctions contre le régime de Caracas.

Réunis jeudi à Toronto, 12 pays d'Amérique dont le Brésil, le Canada, l'Argentine et le Mexique, ont demandé «au Secrétaire général et aux Nations unies de contribuer à gérer la crise et les violations continues des droits de l'homme».

Applaudie dans l'hémicycle, l'annonce du prix a aussi été bruyamment contestée par des eurodéputés de la gauche radicale (GUE/NGL).

«Respectez la volonté du Parlement», leur a lancé M. Tajani, issu du PPE (droite), principale force politique au Parlement, qui avait proposé cette candidature avec les libéraux de l'ALDE.

Le prix a «été instrumentalisé à des fins politiques», a regretté dans un communiqué la gauche radicale, qui va boycotter la remise de la récompense, le 13 décembre à Strasbourg.

La délégation française des Verts a elle prévenu que le prix risquait «de polariser et d'aggraver la crise politique au Venezuela au lieu de la résoudre». 

Opposition divisée 

Selon ces voix critiques, des membres de l'extrême droite font partie des opposants distingués et le prix aurait plutôt dû être attribué à l'un des deux autres finalistes en lice.

Il s'agissait de Dawit Isaak, un journaliste et auteur suédois d'origine érythréenne, arrêté en 2001 par les autorités d'Asmara, et de la Guatémaltèque Aura Lolita Chavez Ixcaquic, issue du peuple maya quiché, qui incarne la lutte pour les droits des populations autochtones.

L'hommage des eurodéputés à l'opposition vénézuélienne survient au moment où celle-ci apparaît plus divisée que jamais, dans ce pays pétrolier en plein naufrage économique.

Les fractures au sein de la Table pour l'unité démocratique (MUD), une coalition d'une trentaine de partis allant de la gauche modérée à la droite, profitent au président Maduro, cible au printemps d'une vague de manifestations exigeant son départ.

Le chef de l'État semble désormais en position de force pour les prochaines échéances électorales (municipales en décembre, et présidentielle fin 2018).

Créé en 1988, le Prix Sakharov, doté d'une somme de 50 000 euros, tire son nom du scientifique soviétique dissident Andreï Sakharov (1921-1989), et distingue chaque année des personnalités qui se sont illustrées dans la défense des droits de l'homme et de la liberté d'expression.