Le Venezuela était plus divisé et isolé que jamais, après l'élection dans le sang d'une toute puissante Assemblée constituante à la main du président Nicolas Maduro, un «dictateur» selon Washington qui lui a infligé des sanctions financières et juridiques sans précédent.

«Les élections illégitimes d'hier confirment que Maduro est un dictateur qui méprise la volonté du peuple vénézuélien», a tonné le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin cité lundi soir dans un communiqué de son ministère qui annonce le «gel» de «tous les avoirs» que possèderait le président vénézuélien aux États-Unis.

Il est extrêmement rare que le gouvernement américain prenne des sanctions contre un chef d'État étranger en exercice.

M. Maduro est seulement le quatrième président à être ainsi sanctionné par Washington, rejoignant un «club exclusif» composé des présidents syrien Bachar al-Assad, nord-coréen Kim Jong-Un et zimbabwéen Robert Mugabe.

La réaction de Washington est survenue au lendemain de l'élection controversée de l'Assemblée constituante voulue par le président socialiste, un scrutin marqué par des violences qui ont fait dix morts.

«Je n'obéis pas aux ordres impérialistes, je n'obéis pas aux gouvernements étrangers, je suis un président libre», a affirmé quelques heures plus tard M. Maduro dans une allocution télévisée.

Lundi, le trafic a semblé normal à Caracas, mais des restes des barricades de la veille jonchaient encore les rues, vestiges des affrontements de la veille. Opposants et forces de l'ordre se sont affrontés à Caracas et dans d'autres villes lors de batailles rangées.

«Je me sens mal, frustré par cette fraude», confiait, déçu, Giancarlo Fernandez, 35 ans.

Le scrutin a été boycotté par l'opposition pour laquelle cette institution ne vise qu'à prolonger le pouvoir de M. Maduro dont le mandat s'achève en 2019.

La Constituante de 545 membres, qui doit diriger le pays pour une durée indéterminée, doit s'installer mercredi au siège du Parlement dominé depuis 2016 par l'opposition, qui ne reconnaît pas la nouvelle Assemblée.

Cette dernière, qui se situe au-dessus de tous les pouvoirs, y compris du président, doit rédiger une nouvelle Constitution remplaçant celle promulguée en 1999 par le défunt président Hugo Chavez.

M. Maduro a qualifié d'historique le scrutin auquel ont participé selon les autorités plus de huit millions d'électeurs, soit 41,5% du corps électoral. Plus que les 7,6 millions de voix réunies par l'opposition le 16 juillet, lors d'un référendum contre le projet de Constituante. Chaque camp conteste les chiffres de l'autre.

Pour l'opposant Julio Borges, président du Parlement qui a assuré que le législatif continuerait de siéger malgré l'élection de la Constituante, le Venezuela se «réveille plus divisé et isolé du reste du monde». Au total, plus de 120 personnes ont été tuées en quatre mois de manifestations antigouvernementales.

«Ambition dictatoriale»

Le résultat de l'élection a été accueilli par des condamnations internationales. Avant la décision de Washington de geler les avoirs de Nicolas Maduro, l'Union européenne avait fait part de sa préoccupation sur le «sort de la démocratie» au Venezuela.

Une dizaine de pays, des États-Unis à la Colombie, en passant par l'Argentine ou l'Espagne, ont annoncé qu'ils ne reconnaîtraient pas la Constituante. À l'inverse, la Russie, Cuba, le Nicaragua, la Bolivie et le Salvador ont apporté leur soutien à M. Maduro.

Répondant sur le ton du défi à cette opprobre - «On s'en fiche de ce que dit Trump! Ce qui nous importe c'est ce que dit le peuple du Venezuela!» -, M. Maduro a souhaité que la Constituante lève l'immunité des parlementaires de l'opposition pour qu'ils soient jugés.

Il a également menacé de «prendre le mandat» de la Procureure générale Luisa Ortega. Cette chaviste de longue date, qui a rompu avec le gouvernement pour en devenir un des principaux adversaires, a pris la parole lundi.

«Je m'adresse au pays (...) pour refuser de reconnaître l'origine, le processus et le résultat présumé de la Constituante présidentielle amorale (...) Nous faisons face à une ambition dictatoriale», a déclaré Mme Ortega.

«Socialisme vénézuélien pas viable»

Pour Paul Webster Hare, professeur de relations internationales à l'Université de Boston, aux États-Unis, et ancien ambassadeur britannique à Cuba, Maduro «n'a pas gagné».

«Le socialisme vénézuélien n'est pas viable, à la différence de ce qui s'est passé à Cuba entre 1961 et 1990, qui pouvait compter sur un puissant allié, l'Union soviétique, qui lui fournissait des ressources en échange de sa fidélité», a déclaré M. Hare à l'AFP.

Le Venezuela, premier exportateur de pétrole d'Amérique latine, est au bord de l'effondrement économique et 80% des Vénézuéliens désapprouvent la gestion du président, selon l'institut de sondages Datanalisis.

«Compte tenu de l'état catastrophique de l'économie du pays, il sera difficile pour cette nouvelle assemblée de donner des réponses d'envergure à la pénurie alimentaire qui y sévit», juge Gaspard Estrada directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (Opalc).

«La question qui se pose est celle de la légitimité d'une Assemblée constituante élue avec 40% de participation, selon le gouvernement. Elle sera contestée et des mobilisations vont suivre (...) Maduro reprend en main une situation qui lui échappait et s'enfonce dans une voie autoritaire», anticipe Eduardo Rios Ludena, chercheur à Sciences Po, spécialiste du Venezuela.