Les autorités vénézuéliennes cherchaient jeudi le pilote d'hélicoptère accusé de tentative de coup d'État, un épisode qui suscite le scepticisme dans le pays en proie à une vague de manifestations qui ont fait 82 morts en près de trois mois.

Deux jours après qu'un hélicoptère a survolé Caracas, lançant, selon le gouvernement, quatre grenades contre la Cour suprême (TSJ) sans faire de victimes, les forces de sécurité inspectaient l'appareil, retrouvé à Osma sur la côte, à 85 km de Bogota.

Le pilote, Oscar Pérez, un fonctionnaire de la police scientifique de 36 ans, également acteur d'un film d'action, Mort suspendue (2015), restait quant à lui introuvable.

Dénonçant une «attaque terroriste» et une tentative de coup d'État, le président socialiste Nicolas Maduro a placé les forces armées en état d'alerte.

Le ministère de l'Intérieur a émis un mandat d'arrêt international, par le biais d'Interpol, contre le pilote qu'il accuse d'avoir des liens avec la CIA américaine.

Dès mercredi, des membres de l'opposition et plusieurs analystes ont mis en doute la véracité et les motivations de l'attaque, estimant qu'il pouvait s'agir d'un coup monté du gouvernement.

L'opposition, majoritaire au Parlement, a assuré n'avoir rien à voir avec l'incident: «Ce n'est pas la manière d'agir de la coalition, car nous exigeons un changement démocratique de façon pacifique», a déclaré le député Juan Guaido, au nom de la coalition de la Table pour l'unité démocratique (MUD).

Le profil atypique du pilote, apparu visage découvert et accompagné de quatre hommes masqués dans une vidéo sur internet, intrigue.

Selon son ami Oscar Rivas, metteur en scène d'un des films où il a joué, celui-ci a été très affecté par l'assassinat de son frère moins de deux semaines plus tôt, poignardé chez lui pour lui voler son portable.

«Cela a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, pour qu'il se comporte ainsi», a-t-il dit sur la radio Onda La Superstacion.

Dans un pays ravagé par la criminalité, le pilote et comédien a également envoyé ses trois jeunes enfants vivre au Mexique après une tentative d'enlèvement de l'un d'eux l'an dernier, selon lui.

Et si les images diffusées sur les réseaux sociaux montrent l'hélicoptère survoler Caracas, on ne voit pas clairement s'il lance effectivement des grenades sur la Cour suprême. On entend juste des détonations au loin.

Conduits par le président du TSJ Maikel Moreno et le ministre des Affaires étrangères Samuel Moncada, un groupe de diplomates a parcouru jeudi le bâtiment pour observer les zones d'impact des grenades, avec pour mission selon M. Moreno de «propager cette vérité»: «Au Venezuela il y a eu une attaque terroriste et elle doit être condamnée».

Crispation des autorités

«Malgré les théories du complot, l'incident inhabituel (...) semble répondre à une motivation individuelle, plus qu'à une conspiration du gouvernement ou une tentative coordonnée avec d'autres acteurs militaires ou de la sécurité», a estimé jeudi Risa Grais-Targow, directrice pour l'Amérique latine du cabinet Eurasia.

L'épisode survient alors que les manifestations exigeant le départ du président Maduro depuis début avril «sont de plus en plus violentes et mettent à l'épreuve les loyautés au sein de l'appareil de sécurité», observe-t-elle.

Selon le parquet, le bilan des manifestations s'établissait jeudi à 82 morts.

Plusieurs dizaines de jeunes manifestants ont été arrêtés jeudi lors d'une nouvelle manifestation à Caracas, dispersée par des tirs de lacrymogènes et de fusils à petits plombs, selon un député de l'opposition, Juan Guaido.

L'épisode a lieu également à un moment de tension croissante dans le camp chaviste, qui accuse l'opposition de préparer un coup d'État avec le soutien des États-Unis.

Dès mardi, Nicolas Maduro avait mis en garde le président américain Donald Trump: si le Venezuela «plongeait dans le chaos et la violence, nous irions au combat», avait-il dit. Et «ce qui n'aura pas pu se faire grâce au vote, nous le ferons avec les armes».

Le camp présidentiel est également furieux des critiques de la chaviste dissidente Luisa Ortega, procureure générale de la Nation.

Dans ce pays où l'économie, ultra-dépendante du pétrole, s'est effondrée, la procureure Ortega est la seule voix critique dans le camp présidentiel.

Signe de cette crispation ambiante, les autorités ont annoncé que Mme Ortega comparaîtrait mardi prochain devant le TSJ, lui interdisant entre-temps de sortir du pays et gelant ses comptes et avoirs.

L'audience décidera si la procureure, dont un député chaviste a demandé au TSJ d'évaluer «la santé mentale», peut être traduite en justice.

Mercredi, Mme Ortega a accusé le président Maduro d'avoir imposé un «terrorisme d'État».