Le nouveau gouvernement de Michel Temer s'est mis au travail vendredi en préparant les Brésiliens à des «mesures difficiles» pour affronter la grave crise économique qui touche le pays divisé par des mois d'âpre lutte de pouvoir.

À peine formé, ce gouvernement au profil libéral et conservateur suscitait de nombreuses critiques: ses 24 membres sont tous des hommes, blancs, pour la première fois depuis le retour du Brésil à la démocratie en 1985. Des artistes ont eux dénoncé la suppression du ministère de la Culture.

Et sept ministres sont cités dans l'enquête sur l'énorme scandale de corruption Petrobras, jetant un sérieux doute sur l'engagement pris la veille par M. Temer de ne pas chercher à l'entraver.

Au lendemain du vote historique du Sénat qui a suspendu du pouvoir la présidente élue Dilma Rousseff dans le cadre d'une procédure de destitution contestée, tout indiquait qu'il n'y aurait pas d'état de grâce pour le président par intérim.

«Pas de miracles»

«Je ne vais pas faire de miracles en deux ans», a déclaré M. Temer à la revue Epoca, semblant tenir pour acquis que Mme Rousseff, dont il a activement brigué le fauteuil pendant des mois, serait bien destituée dans quelques mois.

«Je souhaite que, au moment où je quitterai la présidence, on se dise au moins: «Ce gars-là a remis le pays sur les rails»», a-t-il ajouté.

«La priorité est désormais de maîtriser la dépense publique», a déclaré le nouveau ministre de l'Économie Henrique Meirelles, un ex-président de la Banque centrale apprécié des marchés.

M. Meirelles a préparé les Brésiliens à des mesures impopulaires: «indispensable» réforme du système des retraites déficitaire, augmentation temporaire des impôts «si nécessaire», réforme du droit du travail.

Se gardant d'annoncer prématurément des mesures concrètes et chiffrées, il s'est dit confiant dans le fait que la société brésilienne était «mûre» et «mieux préparée à accepter des mesures d'ajustement difficiles».

La Bourse de Sao Paulo est restée sur sa faim, chutant de 2,70%, après une hausse timide de 0,9% la veille.

La septième puissance économique mondiale est plongée dans une profonde récession. Son PIB s'est contracté de 3,8% en 2015 et devrait chuter d'autant cette année. La dette et les déficits augmentent rapidement, comme le chômage qui frappe 11 millions de Brésiliens.

L'inflation élevée contraint la Banque centrale à maintenir un taux directeur de 14,25%, l'un des plus élevés au monde, qui décourage les investisseurs.

«Nous vivons la pire crise économique de l'histoire du Brésil», a souligné le chef de cabinet (quasi premier ministre) de Michel Temer, Eliseu Padilha, à l'issue du premier Conseil des ministres.

«Les gens sont sortis manifester dans les rues pour deux choses: un État sans corruption et efficace. Eh bien, dehors la corruption et bienvenue à l'efficacité!», a lancé M. Padilha... lui-même en délicatesse avec la justice.

M. Padilha s'est efforcé de désamorcer un torrent de critiques et sarcasmes sur ce gouvernement exclusivement composé d'hommes blancs, quelques semaines après la publication d'un portrait de la jeune épouse de M. Temer titré: «Belle, discrète et au foyer».

«Nous avons essayé de trouver des femmes, mais, en raison du calendrier resserré, ça n'a pas été possible», a-t-il dit.

Première femme élue du Brésil, Dilma Rousseff l'a déploré en recevant la presse étrangère à sa résidence lors sa première journée hors du pouvoir: «Il y a un problème de représentativité. Au Brésil, l'inégalité a des caractéristiques marquées. Elle concerne surtout les femmes, les noirs et les enfants».

«Intérimaire illégitime»

«Le Brésil a aujourd'hui un gouvernement provisoire, par intérim et une présidente élue par 54 millions de voix. Il y a un gouvernement intérimaire et illégitime du point de vue des votes. Je me battrai pour revenir», a insisté Mme Rousseff dont le mandat se termine fin 2018.

L'ouverture de son procès en destitution jeudi, qui a entraîné sa mise à l'écart du pouvoir pour un maximum de 180 jours dans l'attente de son jugement final, «est le fruit d'une conspiration orchestrée par le parlement et les élites traditionnelles», a affirmé une Dilma Rousseff enthousiaste, qui a confié qu'elle se maintiendrait active politiquement pour défendre sa position face à la société civile.

La droite l'accuse d'avoir dissimulé l'ampleur des déficits publics en 2014 pour se faire réélire, ainsi qu'en 2015, via des tours de passe-passe budgétaires.

En prenant possession de leurs cabinets vendredi matin, des membres du gouvernement s'étaient empressés de décrocher des murs les photos officielles de la présidente.

M. Temer a assuré à Epoca avoir exigé qu'on les raccroche. «On lui doit le respect», a-t-il dit. «Elle est suspendue, mais reste présidente».