Depuis 50 jours, Epifanio Alvarez dort mal et a du mal à manger. Son fils Jorge fait partie des 43 étudiants mexicains disparus fin septembre, mais comme les autres parents, il refuse de croire qu'ils ont été massacrés.

Dans l'école normale rurale où étudiaient les jeunes élèves enseignants, à Ayoztinapa (État de Guerrero, sud), les proches ont monté un camp, attendant jour et nuit une bonne nouvelle.

Sacs de riz et de haricots ont été entreposés dans les classes, et sur le terrain de basket, un autel de fleurs et de bougies a été installé. Sur les murs, où sont peints des portraits de Che Guevara et de Karl Marx, les photos des 43 manquants ont été affichées.

«Ce sont des nuits d'enfer, nous dormons une heure ou deux et nous nous réveillons. Impossible de se reposer avec quelque chose comme ça, nous avons toujours en tête cette question: où est notre fils?», raconte Epifanio, un robuste paysan de 46 ans.

À ses côtés, Blanca Nava montre une grande pancarte avec le visage de son fils: «Je me demande tous les jours s'il mange, s'il ne mange pas. Qu'est-ce qu'ils sont en train de lui faire?», dit-elle, angoissée.

Le 26 septembre, les étudiants ont été attaqués par des policiers corrompus à Iguala, dans l'État de Guerrero, sur ordre du maire qui craignait que les jeunes perturbent un acte public tenu par son épouse, soeur de narcotrafiquants. L'attaque a fait six morts, dont trois étudiants.

Les policiers auraient ensuite remis 43 étudiants au gang criminel Guerreros Unidos, dont trois membres, arrêtés après les faits, ont livré un récit terrifiant: selon eux, le gang aurait fait brûler les corps sur un gigantesque bûcher pendant 14 heures, dans une décharge, avant de disperser les restes dans une rivière avoisinante.

Mais cette thèse, ni Epifanio, ni aucun autre parent n'y croient.

«Nous voulons des preuves. Pour nous, ils sont retenus prisonniers», affirme Berta Nieves. Cette mère de famille a déjà enterré son fils, décédé dans l'attaque d'Iguala, mais participe activement aux recherches.

«Un coup monté»

Qui peut bien retenir en otage ces jeunes, et pourquoi? Les familles n'ont pas de réponse claire à cette question. Beaucoup d'entre elles accusent les policiers, d'autres «le gouvernement».

«Nous sommes presque sûrs que [nos enfants] sont dans le coin, ils représentent un intérêt économique et politique très fort. L'histoire de la décharge, c'est un coup monté par le gouvernement pour nous faire abandonner», assure Felipe de la Cruz, porte-parole des parents.

Parmi les «mensonges officiels» dénoncés, celui de la version initiale donnée par les policiers d'Iguala arrêtés, qui affirmaient que les corps se trouvaient dans des fosses clandestines autour d'Iguala.

Les fosses existaient bien, mais les 24 premiers cadavres analysés, sur les 39 trouvés, ne correspondent à aucun des étudiants portés disparus, selon les experts argentins commandités par les parents.

«Ils nous ont déjà trompés cette fois-là. Qu'ils nous les rendent (les jeunes), qu'ils arrêtent de jouer avec nos sentiments», soupire Epifanio.

Autre mensonge, selon lui: «Il paraît que la nuit où ils disent les avoir tués, il pleuvait. Comment auraient-ils pu faire un tel feu? Et comment pouvaient-ils faire disparaître les os? Il aurait fallu les réduire en poussière».

Mercredi, le gouvernement a envoyé au prestigieux laboratoire de l'université d'Innsbruck, en Autriche, une partie des restes trouvés dans la décharge. Mais leur état complètement carbonisé rend très difficile une éventuelle identification.

En attendant, certains parents inspectent eux-mêmes la décharge. D'autres accompagnent la police fédérale dans ses rondes à travers la région.

Ils veulent surtout que le Mexique tout entier prenne conscience de leur drame. Jeudi, Epifanio et les autres parents ont entamé une tournée dans le pays, qui vise à informer la population et exiger du gouvernement d'Enrique Peña Nieto qu'il poursuive les recherches.

Les caravanes vont parcourir sept États, en trois convois partant dans des directions différentes avant de se rejoindre à Mexico le 20 novembre.

«Nous sommes désespérés, mais nous n'allons pas nous arrêter. Cela me torture de me demander comment va Jorge, à chaque moment», dit Epifanio, avant d'ajouter, la voix coupée de sanglots: «Je veux lui dire: mon fils, je vais lutter jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'ils te rendent à moi. Je t'aime fort».