Chef de cuisine au Sofitel de Rio, à Copacabana, le Français Roland Villard, s'est rendu jeudi dans une favela du Complexo do Alemao, ancien bastion des trafiquants de drogue, pour enseigner aux adolescents à manger de façon saine, alors que la moitié de la population du Brésil est en surpoids.

Face à 250 élèves de 15 à 18 ans de l'école Tim Lopes, - du nom du journaliste tué en 2002 dans cette favela alors qu'il faisait un reportage avec une caméra cachée sur des bals funks organisés par les narcos pour démarcher de nouveaux clients -, M. Villard explique: «On ne va pas vous retirer le riz et les haricots noirs, cela fait partie de votre culture, mais on va ajouter des légumes verts, pour faire un plat équilibré».

Le chef a déjà donné ses instructions en cuisine et quelques assiettes ont été montées de façon ludique, représentant avec les ingrédients (riz, haricots, carottes, citrouille, poivrons, poulet) des clowns, des monstres, des nids d'oiseaux entre autres.

«C'est pour le plaisir des yeux et du déjeuner», affirme le cuisinier étoilé à l'AFP avant de remettre lui même l'assiette aux élèves en leur disant «Bon appétit !» en français.

Cette démarche s'inscrit dans le cadre du lancement à Rio du programme «Mon assiette saine» à l'initiative de l'Hôpital Clinicas de Sao Paulo pour lutter contre l'obésité qui coûte cher aux gouvernements.

Le Brésil, qui a sorti de la pauvreté 40 millions de personnes ces dernières années, est en train de payer le prix fort sa rapide croissance et son alimentation industrielle déséquilibrée toujours moins chère.

Un rapport du ministère de la Santé diffusé il y a un an a montré que la moitié des 194 millions de Brésiliens est en surpoids et 16 % obèse.

«Aujourd'hui un enfant sur quatre de cinq à neuf ans est en surpoids et si cela continue dans 10 ans nous serons le pays où il y a le plus de gros, devant les États-Unis», affirme à l'AFP, le médecin Elisabete Almeida qui diffuse le programme lancé en octobre à Sao Paulo et qui va toucher tout le Brésil.

Il s'adresse aux enfants et aux adolescents des écoles publiques.

Quand Marcilene Ferreira de Santana, 18 ans, reçoit son assiette, elle est soulagée: «La quantité est suffisante et c'est très bon!», dit elle après le premier coup de fourchette.

Dans cette zone violente reprise fin 2010 aux trafiquants lors d'une opération spectaculaire avec 2 600 militaires et policiers de choc, appuyés par des blindés et des hélicoptères à l'issue d'une semaine de violences urbaines qui s'étaient soldées par 37 morts, les élèves n'ont pas le droit au couteau. Tous les aliments viennent déjà coupés.

Avant, Marcilene était passée par une nutritionniste qui lui a fait composer un plat: «J'avais mis du riz, des pâtes et des pommes de terre; elle m'a retiré le riz et réduit la quantité de pâtes et pommes de terre».

«En France on a fait un peu la même chose dans les années 80 avec la semaine du goût», rappelle Roland Villard qui estime que le «professionnel doit passer le message d'une cuisine équilibrée, qui surprend et donne des émotions».

«Même un repas comme ici à un dollar doit être chaud, bien assaisonné et goûteux», dit-il avant de révéler qu'à Rio il est en train de monter avec le gouvernement local une école «Le Cordon Bleu» de formation culinaire.

«Les écoles de cuisine ici sont payantes et réservées à l'élite. Il est important pour l'État de Rio d'avoir cette école pour que la cuisine brésilienne évolue», assure M. Villard.