L'ombre d'Alberto Fujimori, l'ancien président honni ou adulé du Pérou, condamné à finir sa vie en prison pour violations des droits de l'homme, plane sur l'élection présidentielle qui pourrait consacrer sa revanche, en cas de victoire de sa fille dimanche au deuxième tour.

La photo d'Alberto Fujimori orne les affiches électorales aux côtés de sa fille Keiko, 36 ans, candidate de droite. Sa cellule-studio, dans une base de la police à Lima, est de l'aveu d'un député fujimoriste un «lieu de pélerinage» pour sympathisants et militants. «Un QG de campagne», s'indigne la gauche.

«Dictateur et voleur» pour ses ennemis tels le Prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa, «meilleur président que le Pérou ait eu» pour sa fille et ses partisans, Fujimori, 72 ans reste une référence pour tous et son empreinte marque encore la vie politique péruvienne, onze ans après sa fuite du pouvoir, au milieu de scandales de corruption.

Cette semaine, des femmes aux jupes retroussées, les jambes maculées de (faux) sang, ont défilé à Lima pour rappeler un des nombreux stigmates du fujimorisme: 300 000 pauvres stérilisées, des milliers à leur insu en 1996-1997, dans le cadre d'une politique de planning familial pour «éliminer» la pauvreté.

Mercredi, le Pérou a retenu son souffle, quand le tribunal constitutionnel a examiné un recours contre la condamnation en appel à 25 ans de prison de l'ex-président. Le tribunal a remis sa décision à après l'élection.

Une majorité de Péruviens (65%) est convaincue que Keiko fera libérer son père, si elle est élue, même si elle jure d'user de recours légaux. Pour ses détracteurs, c'est même sa principale mission politique, un dévouement confinant à la dévotion.

«Keiko dit que le gouvernement de son père est le meilleur de l'histoire du Pérou, c'est une idéalisation de la figure du père», estime le psychiatre Saul Pena. «C'est lui qui est sur les affiches avec elle. C'est pour Alberto Fujimori que vont voter les fujimoristes».

Victoire contre l'hyperinflation des années 80, main de fer -et répression aveugle- contre les guérillas marxistes, rapport direct au peuple mâtiné de clientélisme social: le fujimorisme a gardé ses nostalgiques, et reste un des courants politiques les plus stables du Pérou (autour de 20%).

Pour ses adeptes, «El Chino» Fujimori transcendait les partis. Pour les démocrates, il les détruisit, en dissolvant le parlement lors d'un «auto-coup d'État», et en achetant des députés. Ce fut le début d'un cercle vicieux de partis discrédités et de politique hyper-personnalisée, qui perdure.

«Fujimori fit la guerre à ce qu'il appelait les "politiciens traditionnels", il y eut la dissolution du Congrès en 1992, la corruption des institutions. Une activité normale de partis fut impossible (...) et à ce jour ils n'ont pu se relancer», analyse Luis Benavente, politologue de l'Université catholique.

Comme dans les années 90 avec les guérillas, le fujimorisme se nourrit d'une «excellente gestion des peurs», existantes ou «construites et relayées par les médias» (en majorité pro-Fujimori), analyse le psychosociologue Agustin Espinoza.

Le candidat de gauche et émule repenti du président socialiste du Venezuela Hugo Chavez, l'ex-militaire Ollanta Humala est ainsi «plus ou moins dépeint comme l'ogre, tandis que Keiko incarne le bon côté de son père, pas le mauvais».

Keiko s'évertue à répéter que c'est elle qui déciderait, si elle était élue, pas son père. Mais avec sa fille présidente et un fils Kenji, 30 ans, élu député en avril, difficile d'échapper à l'impression d'une «revanche politique» de Fujimori, comme l'avaient promis ses partisans à son procès en 2009.