Des secteurs entiers de l'économie bolivienne ont été paralysés vendredi par une grève générale et des manifestations, deuxième mobilisation nationale en moins de deux mois contre les hausses de prix dans l'un des plus pauvres pays d'Amérique du Sud.

Défiant de plus en plus ouvertement le président socialiste Evo Morales, la mobilisation est menée par la plus puissante centrale syndicale du pays andin, la COB, et ses organisations affiliées.

Écoles publiques fermées, hôpitaux réduits aux urgences, transports publics raréfiés ou inexistants: les villes étaient vendredi soient à l'arrêt comme à Cochabamba (centre), avec des axes coupés par des barricades, d'autres perturbées comme la capitale La Paz.

Les leaders du mouvement réclament des hausses de salaire, pour amortir la flambée des prix de denrées alimentaires ou de services vitaux comme le transport.

Le président Morales «a dit qu'il gouvernerait avec le peuple, en lui obéissant. Qu'il le fasse!», a lancé vendredi le secrétaire général de la COB Pedro Montes, manifestant la défiance croissante envers le chef de l'État de ses alliés traditionnels y compris dans le monde syndical.

Le président bolivien, ancien dirigeant de la COB et l'un des gouvernants du bloc «antilibéral» d'Amérique latine, est ainsi confronté à la crise sociale et économique la plus longue et la plus profonde depuis son arrivée au pouvoir en 2006.

Les hausses de prix - disparates, mais atteignant jusqu'à 30% sur les transports ou encore 40% sur le sucre - pèsent lourdement sur la population d'un pays où six personnes sur dix vivent dans la pauvreté, et trois sur dix n'ont pas assez à manger, selon des chiffres 2010 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

«Tout a augmenté, surtout le sucre. S'il ne peut régler le problème, qu'il quitte le gouvernement!», lançait Dolores, une infirmière d'El Alto, l'immense cité-dortoir de l'altiplano d'où des milliers de manifestants «descendaient» vers le centre de la Paz, à 200 m en contrebas, soit 3700 m d'altitude.

Le président Morales a invoqué la maîtrise budgétaire, qualifiant d'«irrationnelles, insensées» des demandes de hausses de salaires «de 40, 60 ou 70%».

Il a réaffirmé que les hausses 2011 ne seront pas inférieures à l'inflation 2010 (7,18%). Et son ministre du Travail Felix Rojas a rappelé que les salaires ont augmenté chaque année depuis 2006, atteignant 41% au total sur la période, et que «2011 ne fera pas exception»

La COB demande des négociations sur la base d'une étude récente qui a évalué les besoins mensuels d'une famille de cinq personnes à 8309 bolivianos (1183 dollars). Soit 12 fois le salaire minimum.

La dernière forte mobilisation contre les prix en Bolivie, le 30 décembre, avait dérapé dans la violence, faisant 15 blessés.

Surtout, elle avait forcé l'État à une marche arrière spectaculaire, pour rétablir des subventions aux carburants, dont la suppression cinq jours plus tôt avait fait bondir de jusqu'à 83% le prix de l'essence.

Cette hausse, même éphémère, avait été aussitôt répercutée sur divers produits et services et continue de faire sentir ses effets, qui se conjuguent à des spéculations locales, à la sécheresse 2010 dans le sud qui a affecté la production agricole, et aux tensions inflationnistes mondiales.

Cette semaine, la Banque mondiale a averti du «niveau dangereux» des prix alimentaires mondiaux, qui ont poussé 44 millions de personnes dans l'extrême pauvreté en 2010. En janvier, l'agence de l'ONU pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) a mis en garde contre des risques d'émeutes.

«Le coupable, c'est l'Empire» capitaliste et son contrôle sur les pays pauvres, a cependant estimé Montes vendredi. «Ils veulent que nous nous affrontions entre pauvres. Nous ne le ferons pas», a assuré le leader syndical.