Malgré quelques bosses à la tête, le caméraman Alejandro Hernandez a eu de la chance, comme ses trois confrères enlevés avec lui par les hommes d'un des plus grands cartels mexicains de la drogue: ils ont été libérés vivants.

L'enlèvement de ces journalistes, le 26 juillet, a été d'autant plus médiatisé que deux d'entre eux travaillaient pour Televisa, le premier groupe mondial de communication hispanophone, et un autre pour la chaîne de télévision Milenio, émanation du quotidien national du même nom.

Il a constitué aussi une opération de communication particulièrement étudiée de la part des ravisseurs, qui avaient un message à faire passer et y sont parvenus.

Les quatre journalistes avaient couvert l'arrestation de la directrice d'une prison accusée de laisser sortir des détenus responsables de règlements de comptes à l'extérieur, et notamment d'un récent massacre de 17 jeunes gens au cours d'une fête.

Dans une vidéo à l'origine de l'arrestation, un policier accusait le puissant cartel de Sinaloa. En réponse, celui-ci avait enlevé les journalistes en exigeant de leurs médias la diffusion de vidéos dénonçant au contraire leurs rivaux, les «Zetas». Milenio a accepté.

Mais sur le terrain, c'est sur les journalistes eux-mêmes que les trafiquants font pression, et s'ils sont enlevés, ils s'en sortent rarement vivants. Surtout à la frontière des États-Unis, où se concentre la «guerre des cartels» pour la maîtrise du trafic.

Conséquence, de plus en plus de journalistes quittent la profession, ou le pays. Ils craignent pour leur vie et celle de leur famille.

«Chaque jour, les zones de silence s'élargissent», déplore Balbina Flores, de l'association Reporters sans frontières.

«À eux, comme aux policiers ou aux magistrats, les cartels proposent "la plata o el plomo" (l'argent ou le plomb)», déclare à l'AFP un spécialiste étranger de la sécurité.

Ils exigent le silence sur leurs actes, ou au contraire une médiatisation pour intimider leurs rivaux et terroriser la population. Ils rivalisent pour cela en décapitations et massacres spectaculaires.

Journaliste, au Mexique, est un métier très dangereux: plus de 30 tués ou disparus, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), depuis décembre 2006, quand Felipe Calderon, dès son arrivée à la présidence, a déclaré la guerre aux cartels.

Les journalistes sont des victimes collatérales des affrontements entre cartels ou contre l'armée et la police. Un conflit qui a déjà coûté 25.000 morts sous le gouvernement Calderon.

Ils «sont enlevés ou tués par des hommes de main des barons du crime dont les partenaires, maires, gouverneurs, députés ou autres dirigeants, font tout pour éviter la moindre enquête», accuse le chroniqueur Ricardo Aleman dans le quotidien national indépendant El Universal.

Il n'est pas le seul à être choqué: les Nations Unies et l'Organisation des États américains (OEA) préparent en août une mission d'enquête conjointe sur la liberté d'expression au Mexique.

Le gouvernement a créé voici quatre ans le poste de procureur chargé de la protection des journalistes, mais son manque d'efficacité est largement dénoncé dans les médias.

L'AFP a demandé à interviewer le titulaire actuel, Gustavo Salas, mais a essuyé un refus, et un projet de loi proposant que les attaques contre la liberté d'expression soient élevées au rang de crime fédéral attend depuis des mois au Parlement.

«C'est clair, il y a un manque de volonté politique», commente Carlos Lauria, du CPJ. «Cela devrait être une priorité pour le Parlement et pour le gouvernement, c'est une très grosse crise», ajoute-t-il.