Le legs de la dictature (1973-90), la justice inachevée pour ses crimes, a fait irruption dans la campagne présidentielle au Chili, avec l'émoi causé par le candidat de droite pour sa promesse à des ex-militaires de ne pas laisser les procès «s'éterniser».

Sebastien Pinera, le magnat (aéronautique, médias, finances) favori du scrutin de décembre-janvier pour ramener la droite au pouvoir pour la première fois en 20 ans, connait du coup son passage le plus délicat de la campagne, à un mois du premier tour. Mardi, il rencontrait un parterre de plus de 500 militaires à la retraite, lors d'une réunion privée à Santiago que son équipe de campagne avait passé sous silence. Mais que la presse a révélée jeudi en citant des participants.

Là, Pinera a été chaleureusement applaudi, lorsqu'il s'est engagé une fois élu à ce que «la justice s'applique comme il convient, sans maintenir des procédures ad aeternam, qui n'en finissent jamais», et a évoqué une «application correcte du principe de prescription», selon ces participants.

Une association d'ex-gradés présente à la réunion, Chili Ma Patrie, en a rajouté en saluant «la bonne volonté, la disposition (de Pinera) à trouver une solution définitive» au sort de nombreux ex-militaires, «contraire à la réconciliaton nationale».

La justice pour les années de plomb reste un thème sensible au Chili, ou demeure techniquement en vigueur une loi d'amnistie, votée sous la dictature, couvrant ses premières années.

Elle n'a pas empêché plusieurs dizaines de condamnations, mais près de 600 procédures restent en cours contre des agents de la dictature qui laissa derrière elle 3100 tués ou disparus, 28000 torturés.

Les propos de Pinera ont dressé comme un seul homme le gouvernement, la campagne de son rival Eduardo Frei, et les victimes bien sûr.

L'association Familles des détenus et disparus a jugé que le candidat avait «tombé le masque et se montre tel qu'il est: une personne de droite, compromise avec la dictature et les violations des droits de l'Homme».

La présidence a rappelé que «le monde entier s'est mis d'accord pour considérer les crimes contre l'humanité comme imprescriptibles». Et la coalition au pouvoir l'a sommé de «s'expliquer»: pense-t-il à fixer par une loi une date-limite pour les procédures, ou à presser les juges?

Pris entre les bravos des ex-militaires et la levée de bouclier à gauche, Pinera s'est défendu. Il n'a fait, dit-il, que garantir ce qu'il garantit «à tous les Chiliens»: que le droit «s'applique dans son intégralité», que les procédures judiciaires se fassent «correctement».

Jusqu'alors, Pinera, 59 ans, avait passé une campagne plutôt confortable. Battu en 2005 par Michelle Bachelet au 2e tour, il surfe cette fois sur une avance oscillant entre 7 et 20 points sur le démocrate-chrétien Eduardo Frei, président de 1994 à 2000, et candidat de la coalition au pouvoir.

La polémique survient alors que Bachelet, qui fut elle-même détenue et torturée, s'attache justement à ancrer le travail de mémoire avant sa fin de mandat en mars: création d'une Journée du souvenir des exécutés, prochaine ouverture d'un Musée de la Mémoire.

Le parti Rénovation nationale de Pinera appartient à la droite modérée, au point que peu d'observateurs prédisent un changement de cap de gouvernance s'il est élu. Mais sa candidature est aussi soutenue par la très conservatrice UDI, qui appuya Augusto Pinochet, comme les rivaux de Pinera ne manqueront pas de lui rappeler jusqu'au 13 décembre.