Les Boliviens se rendaient aux urnes dimanche dans le calme pour voter sur un projet de nouvelle constitution, visant à redonner pouvoir et fierté à la majorité indigène, et dont dépend l'avenir politique du président Evo Morales.

En cas d'adoption du projet, qui devrait se faire sans encombre d'après les derniers sondages, des élections auront lieu le 6 décembre prochain, et Evo Morales, élu en 2005 sur un vaste programme de réformes, mélangeant l'indigénisme avec le «socialisme du XXIe siècle», pourra s'y représenter, pour un nouveau mandat de cinq ans à la tête d'une nouvelle Bolivie «plurinationale». Mais le premier président aymara a dû renoncer à aller plus loin, en raison de la féroce opposition à ce projet, qui a mis au bord de l'implosion le pays le plus pauvre d'Amérique latine à l'automne.

Morales l'ex-syndicaliste et «cocalero» devait voter dans sa région d'origine du Chapare (centre) avant de gagner la capitale La Paz. Un peu plus de 3,8 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes, et les premières projections attendues dans la soirée.

Pour Morales, il s'agit de «décoloniser» la majorité indigène pauvre, opprimée depuis des siècles et la conquête espagnole. Mais l'opposition politique et régionale lui reproche d'organiser un «plébiscite» et d'avoir les mêmes tentations autoritaires que ses collègues vénézuéliens Hugo Chavez et équatorien Rafael Correa.

C'est sur ce projet de référendum constitutionnel qu'à l'automne la Bolivie s'est retrouvée à deux doigts d'imploser, avec l'entrée en rébellion des provinces les plus riches du pays et de l'opposition de droite, représentant les élites blanches et riches.

«Ici, nous votons tous «oui»', explique Pascual Choque, Aymara de 64 ans, parti de chez lui à pied avant l'aube pour voter dans la petite ville de Morocollo, sur les rives du lac Titicaca, dans cet Altiplano coeur du monde indien. «Il n'y a pas un seul «non» ici. Pas de mestizos, pas de blancs, que des «oui»', lance-t-il, sous les rires des autres villageois faisant la queue pour déposer leur bulletin dans l'urne.

«L'idée de la Constitution est que les indigènes ne soient plus invisibles», explique l'historien Fernando Cajias, lui-même métisse. «Mais cela crée un nouveau monde invisible», a-t-il estimé, celui des sang-mêlés, dans un pays en fait majoritairement «mestizo».

Le projet vise en effet à redonner leur place aux langues et aux traditions culturelles du monde indien - comme la suppression de toute référence à l'église catholique, remplacée par la reconnaissance du culte de la Pachamama, la Terre-mère, divinité omniprésente dans les religions andines.

Mais en son coeur, il y a surtout l'autonomie politique qui est accordée à 36 «nations» indigènes, désormais mieux représentées au Congrès. Et un projet de redistribution des terres et de limitation de la taille des propriétés avait mis le feu aux poudres, déclenchant les foudres des grands propriétaires terriens, éleveurs ou cultivateurs de soja: les électeurs sont ainsi appelés à se prononcer entre deux superficies maximales (5.000 ou 10.000 hectares)...

Les positions se sont radicalisées après le référendum du 10 août, au cours duquel 67% des électeurs avaient confirmé leur soutien à Morales.

Les gouverneurs des départements de Pando, Beni, Santa Cruz, Chuquisaca et Tarija, du nord au sud, sont partis en guerre contre le projet, en particulier ses aspects de réforme agraire et de redistribution des revenus des hydrocarbures. À l'automne, le pays était au bord de l'implosion, les provinces rebelles de la sécession, et 13 militants indigènes ont été abattus.

Puis un compromis est intervenu, et une nouvelle version du long texte constitutionnel a été mise au point, permettant la tenue du référendum. Mais l'imprécision dans la rédaction de certains articles ouvre la porte à des contestations futures, notamment sur le contre le des vastes réserves de gaz naturel.