Les journalistes sont une cible désignée des cartels de la drogue, dont la guerre dans le nord du Mexique a fait plus de 2.000 morts depuis janvier 2008, à tel point que certains choisissent l'exil, ou le port de gilets pare-balles.

Les cartels mexicains n'apprécient guère que la presse relate de trop près les batailles de leur guerre pour le contrôle du trafic de drogue, qui a fait plus de 4.500 morts dans le pays depuis le début de l'année.

Un reporter a encore été tué mi-novembre dans le nord, et la Commission nationale des droits de l'Homme a comptabilisé dans le pays 45 meurtres de journalistes depuis l'an 2000, dont trois en 2008.

Un record, funèbre, pour l'Amérique latine, selon des organisations non-gouvernementales internationales, qui classent le Mexique parmi les pays les plus dangereux au monde pour la profession.

C'est dans le nord du Mexique, de Tijuana à Ciudad Juarez, face à El Paso au Texas, que la guerre des cartels est la plus sanglante. On est ici dans le «couloir» du transit de la drogue vers les Etats-Unis, premier client de la cocaïne mondiale, dont la totalité de la production, 950 tonnes/an, provient exclusivement d'Amérique latine.

A Ciudad Juarez, réputée la ville la plus dangereuse du pays, 1.300 morts depuis janvier 2008, Armando Rodriguez, le spécialiste des affaires criminelles du plus grand quotidien local, El Diario, a été abattu de plusieurs balles le 13 novembre alors qu'il sortait de chez lui.

Après cet assassinat, les organisations professionnelles de la presse ont demandé aux députés de classer comme «crime fédéral» toute agression contre des journalistes.

Le 6 novembre, une tête humaine tranchée avait été déposée sur la «Place des journalistes», devant un monument érigé en «hommage à la liberté d'expression» et où sont gravés les noms de 25 professionnels défunts, dont plusieurs assassinés.

«Sept confrères de Ciudad Juarez viennent d'être menacés de mort, à tel point qu'ils ont dû quitter le pays et que plusieurs ont demandé l'asile politique aux Etats-Unis», témoigne un journaliste.

A Tijuana, face à San Diego en Californie, où les autorités ont compté 685 morts depuis janvier 2008, dont 280 ces deux derniers mois, les journalistes du quotidien Frontera portent désormais des gilets pare-balles.

«Un pour le spécialiste de la rubrique, deux pour les photographes, le quatrième pour le rédacteur de permanence, s'il doit partir en reportage», explique un de ses journalistes à l'AFP, qui a choisi de taire son nom et ceux de ses confrères, par mesure de sécurité.

Frontera a décidé l'achat des gilets après une fusillade entre trafiquants et policiers, qui avait duré plus de quatre heures.

Pendant tout ce temps, les journalistes avaient été pris entre deux feux, et avaient dû se jeter sous des voitures pour se protéger.

A Tijuana, la presse locale ne recherche plus les «exclusivités» comme autrefois, et n'essaie plus à arriver au plus tôt sur les lieux des crimes.

«A présent, nous vérifions plutôt ce qui s'est passé, et ensuite nous couvrons l'évènement, mais nous n'y allons pas si nous n'avons pas de confirmation par plusieurs sources», affirme un photographe.

«On ne mentionne plus non plus les identités des victimes, sauf si les autorités les ont diffusées, par crainte de représailles de la part de leur camp ou de leur famille», ajoute un confrère.

Un chroniqueur de radio souligne que les conditions du reportage ont changé: «avant, tu pouvais entrer jusque dans la cuisine, mais ce n'est plus pareil. Les bandits peuvent revenir».

Pour sa part, il ne met pas de gilet pare-balles: «mon meilleur instinct, en cas de fusillade, c'est l'oreille, et je sais jusqu'où je peux m'approcher».