(Kigali) La communauté internationale « nous a tous laissé tomber » durant le génocide des Tutsis, a déclaré dimanche le président rwandais Paul Kagame, à l’occasion du 30e anniversaire des massacres dont l’ombre plane toujours sur ce pays de l’Afrique des Grands Lacs.

Les commémorations officielles ont débuté ce dimanche 7 avril – jour anniversaire des premières tueries de ce qui deviendra le dernier génocide du XXe siècle, faisant 800 000 morts, majoritairement dans la minorité tutsie, mais aussi des Hutus modérés.

La communauté internationale avait été vivement critiquée pour son inaction avant et durant le génocide.

« C’est la communauté internationale qui nous a tous laissé tomber, que ce soit par mépris ou par lâcheté », a déclaré Paul Kagame lors d’un discours donné devant plusieurs milliers de personnes à la BK Arena, une salle polyvalente ultra-moderne de la capitale Kigali.

« Personne, personne, pas même l’Union africaine (UA), ne saurait se disculper de son inaction face à la chronique d’un génocide annoncé. Ayons le courage de le reconnaître, et de l’assumer », a également affirmé le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.

Paul Kagame – qui dirige d’une main de fer le pays depuis la fin du génocide – s’est recueilli dans la matinée, aux côtés de dignitaires étrangers, devant une gerbe de fleurs et a allumé une flamme du souvenir au Mémorial de Gisozi.

En fin de journée, des milliers de personnes ont participé à une veillée nocturne, à la BK Arena qui compte 10 000 places, des bougies à la main.

« Aujourd’hui, c’est une mauvaise journée pour tous les Rwandais », lâche doucement Ernestine Mukambarushimana, 30 ans. Mais cette cérémonie lui fait du bien, dit-elle. « Je ne me sens pas seule ».

PHOTO LUIS TATO, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président américain Bill Clinton (au centre) était présent pour les commémorations.

Dans l’assistance, Ange Christian Kwizera avait sept ans quand des miliciens hutus ont tué ses parents dans la paroisse de Mibilizi (sud-ouest). Il est devenu professeur d’histoire pour aider à « faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de génocide ».

L’ancien président américain Bill Clinton, en poste à la Maison-Blanche durant les massacres, le ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et le secrétaire d’État français à la Mer Hervé Berville, né au Rwanda, ont assisté plus tôt à la cérémonie.

« Responsabilités »

À l’occasion de cet anniversaire, le président français Emmanuel Macron a affirmé dans une vidéo diffusée dimanche que « la France assume tout et exactement cela dans les termes que j’ai employés » le 27 mai 2021. En déplacement à Kigali, il avait alors dit être venu « reconnaître » les « responsabilités » de la France.

Paris, qui entretenait des relations étroites avec le régime hutu quand le génocide a commencé, a longtemps été accusé de « complicité » par Kigali.

« Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos », avait-il ajouté, précisant que Paris n’avait « pas été complice » des génocidaires hutus. M. Macron n’avait pas présenté d’excuses, tout en disant espérer le pardon des rescapés.

« Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher de ce que je vous ai dit ce jour-là », a-t-il déclaré dimanche.

Jeudi, l’Élysée avait rapporté que, selon Emmanuel Macron, la France « aurait pu arrêter le génocide » de 1994 au Rwanda « avec ses alliés occidentaux et africains », mais « n’en a pas eu la volonté ». Des mots que le chef de l’État n’a pas prononcés dimanche.

Après des décennies de tensions, allant jusqu’à une rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali entre 2006 et 2009, un rapprochement a été permis entre les deux pays à l’issue de la mise en place d’une commission par Emmanuel Macron qui a conclu en 2021 à des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France.

Le président américain Joe Biden a lui déclaré que les répercussions des massacres se « font encore sentir à travers le Rwanda et à travers le monde ». « Nous n’oublierons jamais les horreurs de ces 100 journées », a-t-il ajouté.

Carnages

Au Rwanda, pendant sept jours, la musique ne sera pas autorisée dans les lieux publics, ni à la radio. Événements sportifs et films seront interdits de diffusion à la télévision, sauf s’ils sont liés aux commémorations.

Les tueries du printemps 1994 ont été déclenchées au lendemain de l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, dans une frénésie de haine alimentée par une virulente propagande anti-Tutsi.

Le carnage prend fin lorsque la rébellion tutsie du FPR s’empare de Kigali le 4 juillet, déclenchant un exode de centaines de milliers de Hutus vers le Zaïre voisin (aujourd’hui République démocratique du Congo).

Trente ans plus tard, des charniers continuent d’être mis au jour.

Le Rwanda mène un travail de réconciliation, avec notamment la création en 2002 de tribunaux communautaires, les « gacaca » où les victimes pouvaient entendre les « aveux » des bourreaux.

La justice a joué un rôle majeur, mais selon Kigali, des centaines de personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide sont toujours en liberté, notamment dans les pays voisins, comme la République démocratique du Congo (RDC) et l’Ouganda.

Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a de son côté exhorté « les États du monde entier à redoubler d’efforts pour traduire en justice tous les auteurs présumés encore en vie ».

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